Le 18 octobre prochain, les associations VAST, AMSSA, MOSAIC et ISSofBC organisent, au Robson Square à Vancouver, un symposium ouvert au public, autour du thème, Réfugiés et Migrations : approches communautaires pour guérir le traumatisme. Pour comprendre le sérieux de cette discussion, qui sera animée par six panélistes, la décence impose que l’on écoute les protagonistes. Paroles de réfugiés.
« Les blessures sont encore ouvertes, il faudra des années pour qu’elles se referment. » Après quelques secondes d’hésitation, et un soupir, elle décide de refouler, dans les arcanes lénifiants de sa mémoire, les détails atroces de son martyre de réfugiée. « Je préfère rester dans l’anonymat ». La décision de Josiane est sans appel. Le français châtié de cette Congolaise quinquagénaire contraste avec le récit tragique de son existence. La mort, elle l’a entraperçue, à maintes reprises, dans l’est de la république du Congo. Cependant, Josiane n’est pas au bout de ses peines. Meurtrie dans sa chair et dans son cœur, pour gagner sa pitance, elle doit, bon gré mal gré, courber l’échine durant les longues heures que lui impose son emploi de femme de ménage.
Arantxa est plus prolixe, du moins quand une relation de confiance existe avec son interlocuteur. Sous des sourcils fins et au-dessus de deux lèvres minces, ses grands yeux bruns, incrustés dans un beau visage ovale, occultent les plaies béantes d’un passé qui pèse encore sur son quotidien à Vancouver. Le conjoint de cette ravissante Latino-américaine a été assassiné au Chili, dans des conditions obscures, alors qu’elle venait de donner naissance à leur enfant. Il a fallu partir, au plus vite. Réfugiée au Canada, la suite de son histoire est classique. Petits boulots en soirée, l’interminable paperasse administrative, l’angoisse d’être déboutée, trouver un logement plus ou moins décent, avec au dessus de sa tête le spectre terrifiant d’un retour précipité à la case départ, à Santiago du Chili. Elle a pleuré toutes les larmes de son corps lorsque, pendant plusieurs mois, ses enfants n’ont pas pu aller à l’école.
Parfois, la nuit, il se réveille en criant
C’est en effet pour sauver la vie de leur progéniture que certains ont pris le chemin de l’exil. Monique a pu arriver au Canada avec Josué, le benjamin de la famille. Le dos brisé, hypertendue, habituée des hôpitaux, elle porte dans son corps le poids d’une dizaine d’années d’errance à travers les pays en guerre des Grands Lacs, au cœur de l’Afrique. La sexagénaire est inapte au travail. C’est Josué, la vingtaine révolue, qui fait bouillir la marmite. Quand ils sont arrivés dans les Prairies canadiennes, ce dernier ne parlait que le lingala et le swahili. Il s’est mis à l’anglais, avec brio. Après six mois, il a décroché un emploi dans un hypermarché. « Parfois, la nuit, il se réveille en criant, transpirant à grosses gouttes », confie-t-elle. Monique doit le prendre dans ses bras. Josué a assisté à des scènes de guerre effroyables. Pourtant, le sourire ne quitte jamais son visage juvénile.
Que faire pour guérir des blessures si profondes ? « Le plus important, c’est de leur offrir un toit, de quoi manger, des soins de santé primaires, un emploi et même Internet, explique Frank Cohn, directeur général du Vancouver Association of Survivors of Torture (VAST) et modérateur de la conférence. Lorsque ces éléments de base font défaut, cela cause davantage de stress aux réfugiés et aucune guérison n’est possible ». Il précise que cinquante pour cent des réfugiés ont été victimes de tortures. Frank insiste, « l’installation dans le pays d’accueil est très important, il faut d’abord résoudre les problèmes du quotidien », ensuite, on peut s’occuper du traumatisme et de la prise en charge psychologique. Le directeur de VAST parle en connaissance de cause : « J’ai toujours travaillé avec les populations migrantes », notamment à Toronto, à New York, en Amérique latine, en Asie du sud-est, et même au Danemark. À 37 ans, il a passé plus d’une décennie à défendre la même cause.
Frank Cohn est admiratif devant la résilience de ces souffre-douleurs, « ce sont des personnes qui ont traversé les circonstances les plus difficiles que l’on puisse imaginer, pourtant, ils ne cessent de lutter ». Grâce à VAST, « nous avons pu aider, avec succès, certains à aller au-delà et de l’avant ». Pour l’instant, Josiane continue de traîner le poids de sa vie de réfugiée. « C’est l’heure de ma pause », dit-elle avant de raccrocher le téléphone. Il est 7 heures du soir à Vancouver.
Refugee&Migration Symposium- Panel: Community Approaches to Healing Trauma