Des verts aux conservateurs, il semble que tout un chacun a une version du revenu minimum garanti (RMG) qu’il peut appuyer. Toutefois, la confusion règne au sujet des objectifs à accomplir avec le RMG, et il existe un grand nombre de points de vue divergents concernant ce qui est réalisable.
Le débat entourant le RMG a progressé à la lumière de la publication récente d’une étude commanditée par le gouvernement de la Colombie-Britannique (C.-B.), ainsi que de deux rapports du Bureau du directeur parlementaire du budget (DPB).
Le rapport du gouvernement de la C.-B. rejette le RMG sous prétexte qu’il serait moins dispendieux d’avoir recours à des mesures ciblées pour parvenir à la réduction de la pauvreté dans la province. Le rapport du DPB, quant à lui, indique qu’on pourrait réduire le taux de pauvreté national de moitié, sans coût net, en supposant l’élimination de certains crédits d’impôt et programmes d’aide sociale. Qui faut-il croire ?
Tous les deux, mais ce serait une erreur pour les défenseurs du RMG autant que pour ses opposants d’invoquer l’un ou l’autre de ces rapports pour justifier leur perspective. Le fait que le DPB, dans sa simulation, a été en mesure de « forcer » la neutralité fiscale est une simple question de comptabilité. Même s’il est impressionnant de voir ce scénario réduire significativement la pauvreté, les auteurs du rapport gouvernemental rétorqueraient sans doute qu’il est possible d’obtenir une réduction de la pauvreté équivalente, à moindres coûts, avec des mesures ciblées. Comme l’objectif de la politique est de réduire la pauvreté, le rapport du gouvernement de la C.-B. est robuste.
Ce devrait être une évidence qu’en injectant suffisamment de fonds pour l’enjeu de la pauvreté, le taux de pauvreté serait réduit considérablement. Mais la question concerne toujours les désavantages, tels que la capacité fiscale, l’effet de dissuasion, les frais administratifs ainsi que la distribution des prestations.
Voilà pourquoi l’argument en faveur du RMG ne peut pas reposer strictement sur la réduction de la pauvreté. Le RMG n’est pas une mesure supplémentaire contre la pauvreté. Il n’est pas non plus un type d’assurance-emploi. Il n’est pas même une mesure d’aide sociale au sens traditionnel, dont l’ambition est d’aider les gens aux besoins particuliers, comme ceux souffrant de handicap ou en situation d’itinérance. Il constitue plutôt un filet de sécurité sociale distinct qui intervient dans un ensemble de circonstances sociétales variées, ce qui inclut les changements au sujet de la nature du travail.
Les concepts de liberté individuelle et de dignité personnelle, et plus particulièrement les moyens par lesquels les individus peuvent affirmer leur liberté sont au cœur du RMG. Être libéré de la pauvreté est un des buts, certes, mais l’atteinte de la liberté d’apprendre, de faire du travail non rémunéré, et de la liberté d’exprimer sa créativité est tout aussi importante. On peut voir un rapprochement avec l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne.
Le rapport du gouvernement de la C.-B. s’attarde sur l’affranchissement de la pauvreté et prône donc des interventions ciblées. Toutefois, les préoccupations sont que de donner d’autres libertés aux citoyens, par le biais du RMG, aboutirait à un fardeau fiscal insoutenable. À cet effet, le rapport du DPB apporte des rectifications utiles. On peut argumenter longuement quant au choix des crédits d’impôt à supprimer pour atteindre la neutralité fiscale, mais le raisonnement est que les coûts ultimes qu’engendreraient le RMG sont supportables, en plus de permettre une réduction de la pauvreté satisfaisante.
Qu’en est-il des objections philosophiques au RMG ? Le rapport du gouvernement de la C.-B. indique que le RMG est « injuste », car il impose un fardeau excessif à certains contribuables qui réprouveraient le fait que leurs concitoyens reçoivent de l’argent même s’ils ne sont pas en situation de pauvreté.
Une fois de plus, la simulation du DPB est enrichissante. Le fardeau d’un RMG concerne essentiellement les troisièmes et quatrièmes quintiles de la population, lesquels subiraient une modeste perte nette de 2 % en revenus, qui, à mon avis, pourrait être atténuée par la croissance économique.
La façon la plus simple de mettre en œuvre un RMG implique le régime fiscal. Cela dit, tout le monde ne déclare pas ses impôts, mais un programme de RMG qui, d’une part, incite les gens à s’inscrire à l’Agence de revenu du Canada (ARC), et d’autre part, qui encourage l’ARC à perfectionner les déclarations automatiques est une réforme qui aurait dû être entreprise depuis longtemps.
De plus, la suppression de certains crédits d’impôt non remboursables, telle que proposée par le DPB, simplifierait le régime fiscal et le rendrait moins régressif. Ces améliorations à notre code des impôts pourraient s’avérer plus importantes pour la croissance de la productivité que le RMG en lui-même.
Le rapport du gouvernement de même que celui du DPB ont calculé l’effet de dissuasion envers le travail causé par le RMG, mais aucun des deux ne s’est penché sur les potentielles retombées économiques qu’engendreraient les activités créatives, l’innovation, les coûts réduits en santé et en justice pénale ainsi que d’autres avantages invoqués par les défenseurs du RMG. Il faut l’admettre, tout cela est spéculatif, mais de tels avantages ne peuvent que hausser la limite supérieure d’une analyse coûts-avantages relative au RMG.
Puisque la représentation que je me fais du RMG concerne la liberté plus que le soutien social, il ne s’agit en rien d’exclure l’assistance ciblée envers, par exemple, les personnes souffrant de handicap. D’ailleurs, la simulation du DPB conçoit une prestation d’invalidité universelle de 6 000 $.
Bien que ce montant soit inférieur à celui du crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH) qu’il remplace, la façon de le mettre en application ferait en sorte que les citoyens souffrant de handicap qui ont un faible revenu vivraient mieux qu’avec le CIPH. Il s’agit, dans les faits, d’une réforme progressive.
En pensant à une économie post-COVID-19, il est fréquent d’établir un parallèle avec les réformes majeures d’après-guerre en matière d’emploi, d’assurance-maladie et d’aide sociale.
Le RMG pourrait être la réforme majeure de notre époque, à condition qu’elle se fonde sur l’enrichissement des libertés citoyennes.
Le sénateur Yuen Pau Woo représente la Colombie-Britannique au Sénat.