Le Festival international du film de Vancouver (VIFF) présentera une projection inédite : Juste un mouvement, du 1er au 11 octobre. Cette adaptation libre du film La Chinoise (1967) de Jean-Luc Godard, dresse le portrait d’Omar Blondin Diop, figure emblématique du mai 68 sénégalais. Son réalisateur, Vincent Meessen, met en lumière ce long métrage fascinant.
En 2015, alors en plein tournage au Congo, Vincent Meessen tombe nez à nez avec une photo d’Omar Blondin Diop – jeune révolutionnaire soixante-huitard qui marqua la mémoire de bien des Sénégalais. Rapidement fasciné par le personnage, le réalisateur décide de reconstruire son portrait par Juste un mouvement – un long métrage diffusé dès le 1er octobre au Festival international du film de Vancouver (VIFF). « Omar Blondin Diop reste une figure méconnue. Une transmission du sens de son combat contre l’impérialisme colonial et pour l’émancipation de la jeunesse sénégalaise restait à faire », explique le cinéaste.
Personnage aux mille et un visages
Le film retrace le parcours atypique de ce jeune Sénégalais, tout d’abord étudiant en philosophie à l’Université de Nanterre. Suite à sa participation aux évènements de mai 68, il est contraint de quitter la France pour Dakar où il continuera sa lutte contre l’oppression en défiant le régime autoritaire de Léopold Sédar Senghor. Il fondera notamment le Mouvement des jeunes marxistes-léninistes (MJML).
Suite à l’arrestation de ses frères, Omar Blondin Diop se radicalise et projette l’enlèvement de l’ambassadeur de la France au Sénégal. Alors que le gouvernement senghorien découvre ses intentions, il se fait incarcérer dans une prison de Dakar où il se suicidera en 1973. Ou du moins si l’on en croit la version officielle, largement critiquée par le public sénégalais, mais surtout par ses proches qui croient plutôt à un crime politique.
C’est à l’aide de leurs témoignages que Vincent Meessen dresse le tableau de ce personnage complexe, à la fois militant politique, intellectuel, philosophe et homme de théâtre. « Quand Omar apparaît sur l’écran, il revient comme survivant. L’histoire est ouverte. Et ce, en partie grâce à la chair que constitue la mémoire des siens, une réserve capitale pour opérer ce travail de rédemption collective tant que la justice d’État reste non rendue », livre le réalisateur.
Reprise de La Chinoise (1967)
Bien loin d’être un simple documentaire sur la vie d’Omar Blondin Diop, Juste un mouvement est aussi une reprise de La Chinoise (1967) – le film réalisé par Jean-Luc Godard qui retrace le quotidien de cinq étudiantes marxistes à tendance maoïstes. Tandis que Vincent Meesen glisse certaines scènes et musiques de La Chinoise dans son long métrage, il en retient également le style et reprend même la fameuse scène du train.
Si le cinéaste a choisi le film de Godard comme trame de fond, c’est tout d’abord parce que le révolutionnaire sénégalais y avait joué son propre rôle en 1967. « Ce sont quasiment les seules images de lui qu’il nous reste », commente-t-il. Il souligne par ailleurs la pertinence d’un dialogue entre Godard et Diop – deux révolutionnaires, l’un dans le domaine du cinéma et l’autre dans celui de la politique sénégalaise. « Juste un mouvement est une sorte de détournement critique et ludique qui acte le potentiel subversif tant du personnage de Diop que du cinéma de Godard », résume-t-il.
Selon le réalisateur, la superposition ingénieuse de ces deux métrages se révèle même troublante. Dans La Chinoise, les jeunes étudiantes marxistes complotent un assassinat contre un homme d’État russe de visite en France. Or, quelques années plus tard, l’événement se produira réellement dans l’histoire sénégalaise, à cela près que le dignitaire en question ne sera autre que Georges Pompidou en visite à Dakar et les assaillants, les frères du révolutionnaire sénégalais. « C’est comme si la fiction de Godard l’avait annoncé », s’exalte Vincent Meessen.
Portrait d’une société sénégalaise
Si le cinéaste s’appuie sur l’œuvre de Godard, il la met aussi à l’épreuve en dénonçant son européocentrisme. Alors que dans La Chinoise, la révolution se fomente au sein d’un appartement parisien, Juste un mouvement se déroule essentiellement au Sénégal et met en scène des intervenants sénégalais et chinois. « Je me suis attaché à des personnes porteuses d’une transculture sino-sénégalaise actuelle et à d’autres pour leur approche critique de la société sénégalaise comme le rappeur et militant FouMalade, l’intellectuel Felwine Sarr, ou encore l’artiste Issa Samb », explique le réalisateur.
En même temps qu’il dépeint le tableau du jeune révolutionnaire, Vincent Meessen décrit aussi celui du Sénégal, de ses liens coloniaux avec la France et de ses relations actuelles avec la Chine. En ancrant ainsi profondément son film dans le réel, le réalisateur reprend mot pour mot l’adage de Godard, « un film en train de se faire ». Et à l’instar du cinéaste franco-suisse qui rendait compte des déboires de mai 68, Vincent Meessen rend compte d’une Afrique qui se cherche, et dont le processus identitaire a été brisé par la colonisation. Par le biais de l’entraînement de champions de Kung Fu sénégalais qui ponctuent le film, le réalisateur représente également le soft power de la Chine sur la société africaine.
Un film qui parle
Déjà diffusé dans de nombreux festivals à travers le monde – en Europe, aux États-Unis et en Asie – le film continue de faire le tour du globe avec comme prochain lieu de « rendez-vous », le 59e Festival du film de New York. Récompensé par deux distinctions, Juste un mouvement semble jusqu’à présent bien accueilli par le public, en particulier celui sénégalais.
« Au cours de l’émotion et des nombreuses prises de parole sur les divers campus universitaires sénégalais où nous avons projeté le film, on a pu vérifier la nécessité ressentie par des générations très variées d’un tel travail », confie le réalisateur. Depuis la demande de réouverture de l’enquête sur les circonstances de son décès, le besoin de rendre justice au martyr sénégalais se fait effectivement entendre.
Le cinéaste explique également la bonne réception du métrage – à cheval entre le documentaire historique, le biopic et l’essai cinématographique – par le vaste public touché, que ce soient les cinéphiles, les étudiants ou les militants. Finalement, Juste un mouvement est à l’image d’un mille-feuille dont les nombreuses couches d’interprétations rappellent que rien ne sert de figer un personnage dans une définition étroite. Comme le dit un ami intime de Diop, « la fidélité à soi est dans le mouvement ».