Inaction climatique : la santé mentale des jeunes est en danger

Photo par Joice Kelly (unsplash)

« Je ne veux pas mourir. Mais je ne veux pas vivre dans un monde qui se moque des jeunes et des animaux ».

Ce témoignage est extrait d’une étude scientifique publiée dans The Lancet* en décembre 2021. Neuf scientifiques ont interrogé des cohortes de jeunes gens âgés de 16 à 25 ans dans dix pays (Royaume Uni, Australie, États-Unis, Inde, Philippines, Nigeria, France, Finlande, Portugal et Brésil). L’enquête démontre comment l’inaction climatique génère une détresse profonde de la jeunesse dans le monde.

ANXIÉTÉ CLIMATIQUE : UN RISQUE POUR LA SANTÉ MENTALE DES JEUNES

L’anxiété climatique ou l’éco-anxiété est une réponse physique et psychique saine face au changement climatique et à la crise de la biodiversité. Si ces notions restent nouvelles et complexes, les auteurs de l’étude s’accordent sur ce point : ce n’est pas une maladie mentale ou une pathologie. L’origine de cette détresse est rationnelle alors que le changement climatique est déjà une réalité pour des jeunes du monde entier.

Cette forme d’anxiété peut avoir un effet « bénéfique », pointent les auteurs de l’étude. Elle peut encourager les personnes qui en souffrent à revoir leurs comportements afin de répondre à la crise climatique de manière appropriée. Elle peut pousser à l’action, à la condition que ces angoisses ne soient pas trop écrasantes.

Émotions en rapport au changement climatique (tiré de l’enquête).

Cependant, l’éco-anxiété représente un risque pour la santé mentale des plus jeunes. Il est souligné : « L’exposition à un stress chronique, durant l’enfance, a des effets à long terme et augmente le risque de développer des problèmes de santé mentale ». Aussi, 45 pour cent des jeunes qui ont participé à l’étude indiquent que l’appréhension du changement climatique affecte leur fonctionnement tous les jours. Les jeunes et les enfants sont d’autant plus vulnérables qu’ils font face à de nombreux facteurs de stress mais disposent de peu de moyens pour agir.

UN MILLIARD D’ENFANTS EXTRÊMEMENT EXPOSÉS AUX RISQUES CLIMATIQUES

Dans les dix pays faisant l’objet de l’enquête, la jeunesse ressent de la détresse face au changement. Le phénomène est mondial. Devant le nombre de jeunes se déclarant « désespérés » et « effrayés » pour l’avenir de l’humanité, l’équipe de recherche s’est avouée « perturbée ». Les scientifiques reconnaissent que l’inquiétude est justifiée : selon l’index d’exposition des enfants aux risques climatiques de  ( Children Climate Risk Index CCRI ), un milliard d’enfants sont « extrêmement exposés » à un ou plusieurs risques climatiques tels que les canicules, les incendies, les sécheresses ou encore les inondations.

Au Pakistan, les inondations du mois d’août 2022 ont tué quatre cents enfants et déplacé cinquante millions de personnes, rapporte la journaliste Fatima Bhutto pour The Guardian.**

Photo par Moniruzzaman Sazal (Climate Visuals Countdown)

DES PENSÉES SOMBRES AGGRAVÉES PAR L’INACTION CLIMATIQUE DES ADULTES

L’anxiété climatique peut s’exprimer par différentes émotions. Cinq reviennent parmi les jeunes interrogés : la peur (68 pour cent), la tristesse (67 pour cent), l’anxiété (62 pour cent ), la colère (57 pour cent) et l’impuissance (56 pour cent). Les émotions les moins exprimées sont l’indifférence (29 pour cent) et l’optimisme (30 pour cent). De ces émotions négatives découlent des pensées sombres chez les jeunes : « les humains ont échoué à prendre soin de la planète » (83 pour cent), « le futur est effrayant » (75 pour cent).

Ces émotions et pensées négatives semblent exacerbées par l’inaction climatique des gouvernements et des adultes. En effet, les résultats de l’enquête montrent que les émotions négatives d’une part, et le sentiment de « trahison » et « d’abandon » par les gouvernements d’autre part, sont corrélés.

Dans tous les pays du monde, la réponse des gouvernements est jugée négativement. Les jeunes se déclarent plus rarement « réconfortés » qu’ils ne se déclarent « trahis » ou « abandonnés » par l’inadéquation de la réponse des gouvernements au changement climatique. Les auteurs affirment même : « L’échec du gouvernement à réduire, prévenir et atténuer le changement climatique de manière adéquate contribue à la détresse psychologique, au préjudice moral et à l’injustice. »

Sentiment de réconfort ou de trahison en rapport à la réponse du gouvernement au changement climatique (tiré de l’enquête)

DES CONSÉQUENCES SOCIÉTALES ET DES QUESTIONS JURIDIQUES

Grâce au GIEC (Groupement intergouvernemental des experts sur l’évolution du climat) nous savons que la dérive climatique qui se manifeste aujourd’hui est causée par les émissions de gaz à effet de serre du passé. Or, à l’échelle mondiale, les émissions de gaz à effet de serre du moment sont supérieures à celles du passé. Donc, l’inaction climatique des gouvernements aujourd’hui (on peut y ajouter celles des entreprises, des consommateurs et des citoyens) fait peser des risques physiques et psychologiques supérieurs à ceux que nous constatons, aux adultes du futur. Et ces adultes du futur, ce sont les jeunes d’aujourd’hui.

Présentement, nous constatons les effets du changement climatique à la fois sur les milieux naturels dont nous dépendons mais aussi sur les systèmes humains (agricole, santé par exemple) dont nous dépendons également. L’étude sur l’éco-anxiété vient constater les effets du changement climatique sur la santé psychique des jeunes générations… dont nous dépendons aussi.

L’inadéquation de la réponse politique, économique et même culturelle vient non seulement affaiblir la psychologie des futures générations, mais elle affaiblit aussi la légitimité de notre époque. En effet, quelle est la légitimité d’une action publique qui échoue à protéger ses populations contre des dangers connus, mesurés et anticipés ? Quelle est la légitimité d’une action privée qui – poursuivant ses intérêts – détruit les ressources communes et vitales pour la vie des générations futures ? En 2050, le Canada doit avoir atteint le fameux « Net-zéro » afin de limiter le réchauffement global à +1,5°C. Comment atteindre cette cible lointaine et difficile lorsqu’une part de la population aurait grandi dans la peur, la colère et l’impuissance, nourrissant la conviction que les gouvernements sont incapables de les protéger ?

Cette étude sur l’anxiété climatique des jeunes fait poindre de nombreuses questions importantes, certaines s’adressent à nous tous et toutes : avons-nous le droit, en tant qu’adultes responsables, de laisser nos insuffisances en matière d’action climatique ainsi aggraver des risques garantis sur la santé, la sécurité et le droit à la vie de générations d’enfants partout dans le monde ?

Un mouvement judiciaire est en marche. Des associations et des jeunes militants saisissent les tribunaux en poursuivant les États pour exiger le respect des cibles de réduction des émissions, pour se faire reconnaître un préjudice moral, ou pour faire condamner les personnes responsables. Aux Pays-Bas (affaire Urgenda, 2019), en France (l’affaire du siècle, 2021), au Canada (affaire EnJeu, 2022), les requêtes convergent inexorablement vers cette question : l’inaction climatique est-elle une violation des droits de l’homme, du droit à un environnement sain, du droit à la vie et du droit à la vie privée garantie à chaque individus ? En Europe, des États ont déjà été condamnés.

Photo par Markus Spiske (Unsplash)

URGENCE CLIMATIQUE ET SANITAIRE : DES SOLUTIONS EXISTENT

« L’échelle mondiale de cette étude [résonne] comme un avertissement aux gouvernements et aux adultes dans le monde ». Il est de notre responsabilité d’adultes de protéger la santé mentale et le bien être des plus jeunes. D’après les auteurs de l’étude, il y a trois besoins particulièrement urgents : (1) être plus réceptif aux inquiétudes des enfants et adolescents, (2) faire des études plus approfondies sur l’impact du changement climatique sur la santé mentale des jeunes, (3) agir immédiatement pour lutter contre le changement climatique.

Plus spécifiquement, six étapes ont été proposées dans une étude parue en juillet 2020***. Parmi celles-ci, former les professionnels de la santé au changement climatique et à la santé mentale ; améliorer les examens cliniques ; développer les thérapies de groupe qui ont fait leurs preuves ; soutenir les familles ; donner accès aux soins.

Du côté des décideurs politiques, les solutions sont là encore multiples. En commençant par reconnaître les peurs des jeunes en les écoutant ; de respecter leur droit à un futur viable et à l’intégrité physique ; de les placer au cœur des politiques publiques du pays. Le secteur culturel a également un grand rôle à jouer.

Enfin, les familles, les éducateurs et les enseignants peuvent se former aux enjeux écologiques pour mieux comprendre les causes de cette anxiété. Et s’informer sur l’éco-anxiété, ce qui leur permettrait de s’armer et d’aider leurs enfants ou élèves à la dompter.

Dans ce sens, EcoNova Education organise une conférence en ligne et gratuite “L’éco-anxiété chez les enfants et les adolescents”, le 11 octobre 2022, le lendemain de la journée mondiale de la santé mentale. L’éco-anxiété est un enjeu de santé publique à la croisée des changements climatiques et des droits humains.

* Climate anxiety in children and young people and their beliefs about government responses to climate change: a global survey, The Lancet,

December 2021, Caroline Hickman, Elizabeth Marks, Panu Pihkala, Susan Clayton, R Eric Lewandowski, Elouise E Mayall, Britt Wray, Catriona Mellor, Lise van Susteren

** The west is ignoring Pakistan’s super-floods. Heed this warning: tomorrow it will be you. F. Bhutto, The Guardian

** Ecological grief and anxiety: the start of a healthy response to climate change? The Lancet, July 2020, Ashlee Cunsolo, Sherilee L Harper, Kelton Minor, Katie Hayes, Kimberly G Williams, Courtney Howard.

Caroline Malczuk est journaliste de formation, animatrice chez EcoNova Education et en charge du projet de la conférence « L’éco-anxiété chez les enfants et les adolescents »

Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur d’EcoNova Education et Conseiller des français de l’étranger