Un état des lieux des eaux de la C.-B. fait planer un avenir hydrique très sombre

Photo par Andriy Baranskyy

Entre inondations et sécheresses, la province de la Colombie-Britannique se trouve soumise à de plus en plus d’épisodes climatiques extrêmes. La sécheresse sur l’île de Vancouver s’est étendue de l’été à l’hiver, fait extrêmement rare. Ce phénomène menace toute la province. Deux professeurs de l’Université de Colombie-Britannique s’accordent sur un avenir hydrique très sombre.

« La littérature scientifique évoque tous ces facteurs depuis bien longtemps. Il n’y a donc aucune excuse pour nous de ne pas utiliser les avancées scientifiques pour protéger la population des calamités dues aux sécheresses ». Le ton est donné par le professeur Younes Alila, spécialisé en hydrologie et en gestion forestière du département de gestion des ressources forestières de l’Université de Colombie-Britannique. Il poursuit : « On a uniquement parlé du manque de précipitations mais les médias ont totalement
manqué la cible ! ».

Le scientifique explique qu’en temps normal, « entre la fin de l’été et le début de l’automne, l’eau provient des nappes phréatiques, qui se sont lentement rechargées par des précipitations. En Colombie-Britannique, c’est une recharge qui se fait sous forme de neige. Ce manteau neigeux situé en altitude sur les montagnes se forme de la mi-octobre jusqu’à la fin du mois de mars. Puis, en avril, il commence à fondre doucement mais sûrement. Cette fonte de neiges s’infiltre dans les sols et recharge les nappes phréatiques au niveau des forêts adultes. Celles-ci permettent d’alimenter en eau pendant l’été et jusqu’en hiver la côte, mais aussi à l’intérieur des terres de la Colombie-Britannique ».

Cependant, ce système est aujourd’hui perturbé en raison d’une multitude de facteurs déclenchants.

Le changement climatique, premier coupable

Pour le spécialiste en hydrologie, le premier mécanisme, cause de la sécheresse de 2022, est La Niña. Les années 2021 et 2022 ont été des périodes La Niña et 2023 suivra la tendance. « Ce phénomène est caractérisé par un temps plus humide et froid, surtout en hiver et au printemps. Cela veut dire que le manteau neigeux ne fond pas parce que le printemps est encore froid. Le manteau neigeux reste intact longtemps et puis fond rapidement en une ou deux semaines à la fin du printemps », explique Younes Alila.

« La deuxième cause est la rivière atmosphérique, que nous avons connue en octobre et novembre 2021. Elle avait causé les inondations de la même année. Elle devient plus fréquente et couvre une région plus grande. Elle désagrège la neige située à mi et haute élévation, surtout sur les montagnes, avant de pouvoir s’infiltrer dans les sols et recharger les nappes phréatiques. Les données de novembre 2021 montrent que ces rivières atmosphériques coup sur coup ont désagrégé 20 à 30 cms du manteau neigeux élevé », détaille le professeur.

« La troisième cause, ce sont les régions affectées par les feux de forêt. Ces incendies sont plus fréquents et plus violents et nous savons tous pourquoi. Le changement climatique est le grand coupable. Ces régions sont semblables à des stationnements. Les sols deviennent hydrophobes pour au moins deux ans », précise Younes Alila.

Pour ces trois scénarios, l’eau ne va pas recharger les nappes phréatiques mais se perdre directement à l’océan.

L’aggravation de la coupe à blanc

Les mécanismes environnementaux se trouvent renforcés par les actions humaines en Colombie-Britannique. La coupe à blanc, soit la coupe de tous les arbres d’un secteur, exacerbe la sévérité et la fréquence des sécheresse de différentes façons selon Younes Alila.

« La neige fond plus rapidement au printemps, plus rapidement que dans des régions où la forêt est adulte. Là où il y a eu une coupe à blanc, dans les régions mi-élevées à élevées, la température est en général autour de 0 degrés. La neige y tombe sous forme de neige mouillée ou même de pluie, d’où le nom de neige transitoire. Dans une forêt adulte, il existe des fossés qui captent cette eau pour lui permettre de descendre jusqu’aux nappes phréatiques. Avec la coupe à blanc, plus rien ne retient cette eau qui ira rapidement à l’océan, surtout dans les régions côtières. À mon avis, c’est particulièrement ce qui a causé la sécheresse de 2022 si longue, de l’été jusqu’à cet hiver », explique l’universitaire.

La reforestation, mâtinée de bonne conscience et rendue obligatoire par le gouvernement de Colombie-Britannique pour remplacer les arbres coupés, contribue également à la sécheresse selon le spécialiste : « Les études montrent que cette nouvelle forêt consomme beaucoup plus d’eau que la forêt adulte déjà présente. La forêt replantée 15 ans après consommera plus de 50 pour cent de plus d’eau superficielle que les anciennes forêts avant la déforestation. Bien sûr, ça va aggraver les sécheresses car le métabolisme de ces arbres est comme celui des adolescents. Ils consomment beaucoup plus que les personnes âgées, en raison de leur croissance ».

L’impact de l’urbanisation

Younes Alila implique également l’impact du réseau de routes forestières dans les épisodes de sécheresse : « Pour accéder aux arbres à couper, nous créons des routes qui ont un impact massif sur les recharges des nappes phréatiques. La neige ne fond plus sur les sols et ces routes créent des fossés qui sont reliées à un réseau de caniveaux et autres évacuations. Cette eau avait l’habitude de voyager en surface pour recharger les nappes superficielles. Mais cette eau n’atteint plus rien, ni les nappes superficielles ni les plus profondes. »

John Richardson.

John Richardson partage l’avis de son collègue sur les conséquences négatives de ce réseau routier : « Il y a aussi des problèmes liés à la contamination des eaux. L’un d’eux est les sédiments provenant des routes et des terres exposées. Beaucoup d’endroits d’où proviennent nos eaux sont aussi des exploitations forestières. Ça veut dire qu’on peut avoir un excès de sédiments et de nutriments dans nos réserves d’eau, ce qui peut en dégrader la qualité. On pourrait facilement régler le problème avec un traitement mais c’est très coûteux si on doit à la fois filtrer les sédiments fins et réduire les taux d’azote et autres contaminants ».

Younes Alila.

Si le sel des routes ne pose pas vraiment problème en Colombie-Britannique, selon John Richardson, « beaucoup de choses viennent de la route : des sédiments mais aussi des hydrocarbures comme l’essence et l’huile. Ce sont des métaux lourds provenant des voitures et de leurs pneus s’en échappant sur les routes ».

Le passage d’eaux vives sur des propriétés privées et des fermes constitue un vrai danger pour tout cours d’eau, selon lui : « S’il n’y a pas d’ombre, et surtout en été, c’est un problème, car l’eau s’évapore ou devient chaude, un souci surtout pour les poissons qui ont besoin d’eau fraîche, comme les truites et les saumons. ». Il ajoute que la présence de sédiments sur les berges, voire la disparition de ces dernières, agit comme facteur aggravant sur des propriétés privées.

Le vrai levier au niveau de la société, c’est la restriction : « Les choses que les individus peuvent faire pour réduire leurs demandes en eau, c’est de ne pas arroser les pelouses et mieux, de ne pas avoir de pelouse en premier lieu. Le problème, c’est que nous avons une source d’eau utilisée pour tout : la cuisine, la salle de bains, les bornes d’incendie, les usages industriels. Puis, quand on se rend compte que les gens vont laver leur voiture, utiliser cette eau pour leur piscine et leur pelouse, c’est facile de voir que certaines choses sont du luxe. Or nous n’avons plus de luxe possible », précise John Richardson, qui craint cependant que ces mesures impopulaires, surtout en été, ne soient pas acceptées par la population.

Une pilule qui sera difficile à avaler mais, hélas, obligatoire pour les années à venir car Younes Alila, lui, prévient sur le caractère croissant et aléatoire des sécheresses.