Pour la majorité des Vancouvérois, il est douteux qu’ils ne deviennent un jour propriétaires de leurs maisons ou leurs appartements. En effet, la crise actuelle et la surenchère des prix dans l’immobilier pourrait se poursuivre encore pendant de nombreuses années. Pour comprendre l’évolution du marché, la crise actuelle du logement et les solutions et alternatives possibles, nous abordons ces enjeux avec M. Jacques Khouri, un spécialiste du marché immobilier.
Marc Béliveau – IJL – Réseau.Presse – Journal La Source
Originaire du Liban et ayant fait des études universitaires à Trois-Rivières, au Québec, Jacques Khouri s’est installé à Vancouver en 1964 où il a travaillé comme journaliste économique au Vancouver Sun et a poursuivi sa carrière dans divers médias, notamment à CKNW-AM et CBC-Vancouver.
Promoteur à succès de logements coopératifs, dans le passé, Jacques Khouri a créé une trentaine de projets de coopératives d’habitation, aidant des centaines de résidents à trouver un logement à Vancouver et rénovant aussi les « bâtiments patrimoniaux ». Il a également travaillé à la coopérative financière Vancity pour soutenir le secteur du logement sans but lucratif et a présidé le British Columbia Real Estate Institute. Propos recueillis.
Comment vous êtes-vous engagé dans le secteur de l’habitation coopérative?
Alors que je résidais dans le quartier de Kitsilano durant les années 70, j’ai eu vent d’un promoteur immobilier qui souhaitait construire un immeuble en hauteur qui pourrait potentiellement changer la nature du quartier. En tant que critique virulent de ce projet, j’ai créé une coalition de résidents, menant à la création de la Inner-City Housing Society. L’objectif était de promouvoir de meilleures options de logement plus acceptable dans la communauté. Pour démontrer sa valeur, nous avons proposé un projet de coopérative d’habitation qui a fini par l’emporter sur le projet de tour. Cela a conduit à la création de la Place Sam Greer.
Le modèle de coopérative d’habitation est-il encore une solution d’avenir?
La formule des coops d’habitation ne répond plus aussi adéquatement aux réalités d’aujourd’hui. Avec le nombre croissant d’immigrants, la demande de logements demeure élevée. De plus, le prix des terrains a grimpé en flèche. Vancouver fait également face à un parc d’immeubles à appartements vieillissants, y compris de nombreuses coopératives, qui offrent des logements abordables à des milliers de personnes. Trouver des ressources pour rénover ces bâtiments pourrait être difficile.
Plusieurs coopératives d’habitation doivent également renouveler le bail de location de leur terrain avec la ville de Vancouver. À la valeur actuelle des terrains, cela pourrait s’avérer une proposition coûteuse pour les locataires, compte tenu du faible taux de densité de bon nombre de ces bâtiments.
Ce sont là quelques problèmes auxquels doit faire face la viabilité du modèle coopératif actuel. Avec l’absence de nouveaux projets de logements à but non lucratif sur le marché, de nombreux locataires de coopératives ne veulent pas quitter leur lieu de résidence. En conséquence, les listes d’attente pour entrer dans les coopératives peuvent s’étendre sur des années – si les listes d’attente sont toujours ouvertes.
Afin d’offrir des loyers abordables au secteur immobilier sans but lucratif, il faut être en mesure de construire à moindre coût. Les gouvernements doivent adopter une vision à moyen et long terme, qui comprend l’accès à des terrains à un prix raisonnable ou subventionné à l’intention des promoteurs de logements à but non lucratif.
Avec le recul, que feriez-vous différemment ?
Tout d’abord, il nous faut tenir compte de la nature cyclique du marché de l’habitation. En 1981, le marché s’est vu face à des taux d’intérêt atteignant plus de 20 %. Les promoteurs et les spéculateurs privés n’ont pas pu soutenir l’acquisition des terrains qu’ils avaient acquis plus tôt. Et le ralentissement des activités de construction a entraîné une baisse des prix.
Pour les promoteurs de coopératives d’habitation, l’achat d’un terrain à prix réduit, avec le soutien d’un programme fédéral, a fait une grande différence. C’est essentiel si nous devons concurrencer le secteur privé. De plus, il nous faut savoir que le secteur canadien du logement, privé ou sans but lucratif, est subventionné de diverses façons. Par conséquent, les gouvernements doivent adopter une vision à moyen et long terme pour éviter la flambée des prix, la volatilité du marché et fournir des terrains à prix abordables au secteur à but non lucratif.
Croyez-vous toujours aux initiatives de logement sans but lucratif?
Différentes priorités politiques prolongent souvent la flambée des prix et la hausse de la volatilité. Je cite souvent, en exemple, la politique sociale de la ville de Berlin en Allemagne. En revanche, je ne sais pas si cette expérience européenne pourrait s’appliquer au Canada.
En comparaison, le logement social à Berlin représente environ 30 % du marché immobilier. Les Berlinois ont adopté la formule de louer leur résidence à des prix raisonnables au lieu de rêver d’en être propriétaire. Dans ce contexte, la ville peut intervenir sur le marché immobilier pour éviter, par exemple, des pénuries de main-d’œuvre dues à des loyers prohibitifs, nuisant ainsi au bien-être économique de la ville.