Cette chronique propose habituellement de se téléporter en l’an 2030, pour tenter d’imaginer le meilleur, mais sans jamais nous détourner de la réalité brutale de la crise écologique. À l’heure de l’écriture, l’observateur expérimenté ressent le besoin de marquer une pause. Une halte pour commenter l’exercice même de cette chronique, et replacer cette fiction-réalité dans le contexte très réel d’une actualité, disons… désastreuse.
L’année 2030 a été choisie pour écrire cette chronique car elle correspond au moment où le Canada, comme d’autre nations développées, est censé avoir accompli la division de ses émissions de gaz à effet de serre par deux. Pourquoi de moitié ? De manière à enclencher l’indispensable et immensément complexe transformation économique, politique et culturelle de la neutralité carbone, plus connue sous le nom tristement peu évocateur de « Net Zero ».
Cet objectif de neutralité carbone, théoriquement à atteindre en 2050, constitue la pierre angulaire de la stratégie de stabilisation du réchauffement climatique. Je dis bien du réchauffement climatique, pas du climat en soi. Les canicules, les incendies ravageurs, les sécheresses que vous avez peut-être constatés de vos yeux ou dans votre fauteuil, par les médias, c’est le nouveau visage du climat. Un climat qui s’est déjà réchauffé de 1,2 degré de moyenne engendre ces calamités. Or l’objectif international recommandé par la communauté scientifique internationale est de rester en deçà de 1,5 degré de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle.
Comme certains aiment dire : cette année de tous les records de chaleur, n’est jamais que l’année la plus froide du reste de votre existence. Sachant cela, qui peut vraiment se détourner de la question climatique ? Face à la séquence implacable des évènements climatiques extrêmes et dévastateurs au Canada, à Hawaii ou ailleurs, qui peut raisonnablement penser qu’il ou elle sera exempté ? Lorsque les meilleurs pompiers au monde recevant l’aide d’autres pompiers étrangers, se déclarent impuissants et épuisés à combattre le feu, qu’est-il encore permis d’espérer ?
Il y a le feu dans notre maison commune. Le reconnaître est la première étape, agir en conséquence est la seconde. Pour contrer ces catastrophes climatiques et leurs conséquences écologiques, humaines, économiques, les petits gestes du quotidien ne suffiront pas. Certains spécialistes sur des continents éloignés estiment que l’ampleur de la transformation nécessaire pour stabiliser le climat s’apparente à une « économie de guerre ». Et cet effort ne dispensera pas d’apprendre à nous prémunir contre les calamités qui, elles, vont continuer. Une révolution culturelle, économique et politique comparable à l’effort que le Canada a consenti pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est le niveau d’engagement qu’il nous faut, selon Seth Klein, auteur de A Good War.
Les choses bougent vite et les bonnes raisons de garder espoir sont nombreuses. La jeunesse est mobilisée dans les rues et devant les tribunaux. Elle gagne ses procès contre les États. Le greenwashing des compagnies pétrolières et gazières, des transporteurs en tous genres et des gouvernements ne passe plus. Les économistes planchent sur de nouveaux modèles de développement, et les activistes redoublent d’effort. Les petits gestes individuels du citoyen-consommateur progressent, mais ils ne suffiront pas. Dorénavant, des transformations collectives sont requises. Autrement dit, en plus d’adopter une mobilité décarbonée, un régime pauvre en produits animaux, et embrasser la sobriété, il nous faut enclencher des transformations profondes dans nos économies, dans nos villes, dans nos quartiers, dans nos entreprises.
Il reste sept années pour nous rapprocher le plus possible de l’objectif de réduction des émissions de moitié. Ne confiez pas aveuglément cette responsabilité à la hiérarchie de vos entreprises, ni aux élus de vos municipalités. Il est politiquement très difficile d’atteindre cet objectif et de nombreux leaders ne sont que très modérément sensibles aux enjeux climatiques. Chacun peut et doit s’investir. Posez des questions à vos élus. Posez des questions à vos employeurs. Posez des questions à vos fournisseurs, vos prestataires et vos professeurs. « Quelle est votre stratégie climatique et quels sont vos moyens d’atteindre vos objectifs ? Quels sont vos résultats à date et vos cibles pour les prochaines années ? ». Sans un mouvement général, sans une exigence de chaque instant, la question climatique restera à la dérive de la stratégie de croissance, et chaque été nous rappellera que nous avons sûrement largement confondu les priorités. Il n’y a pas de planète B.
Ne rien faire n’aurait pas de sens. Tout faire pour mettre le climat à l’agenda est à la portée de chacun et de chacune.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger