Ceci est une entrevue fictive. Quelque part, en 2030. La journaliste Maria Polinova s’entretient avec Etienne Doque, cofondateur de l’Université libre de Vancouver.
Professeur Doque, vous êtes docteur en droit, essayiste et vous êtes un militant pour la soutenabilité des sociétés urbaines. Vous nous faites l’honneur d’intervenir dans notre émission « L’avenir se dessine ». Comment allez-vous ?
Merci Maria. Je vais extrêmement bien et je vous remercie de me recevoir. Nous ouvrons notre portail ce lundi 27 novembre et nous avons accepté la semaine passée soixante-mille nouveaux étudiants selon les règles paritaires. Cet engouement fait chaud au cœur.
Alors justement, cette université libre de Vancouver est une université pas comme les autres. Quelle est son ambition ?
L’ULV est une toute nouvelle université libre, gratuite, diplômante et entièrement en ligne. Notre ambition est de former les étudiants en les préparant à reconstruire nos systèmes démocratiques dans un objectif de soutenabilité. Nous enseignons toutes les matières pertinentes avec l’aide de professeurs en sciences bien sûr, mais surtout en anthropologie, en philosophie, en sociologie et en droit.
Vous dites parfois que notre démocratie ne marche pas, et c’est pour cette raison que l’écologie va mal.
Je ne vous apprends rien si j’affirme que les sociétés urbaines comme Vancouver ont beaucoup changé : on travaille moins donc on pollue moins, on mange mieux et on se fait plus d’amis. Ici, au moins, on sait vers quoi on veut aller. Les citoyens essayent de s’organiser dans la convivialité, ils produisent leur nourriture et se déplacent de manière relativement soutenable. Mais si l’on veut aller plus loin, le boulot n’est pas terminé ! Il faut maintenant reconstruire l’unité « ville » et son fonctionnement de manière vraiment durable.
Vous parlez de la ville la plus verte ?
Je parle de la ville verte, je parle de la ville soutenable, et je parle de la ville équitable. Les valeurs et les styles de vie sont en train de changer pour atteindre un début de sobriété. Cependant, cette sobriété repose sur les classes moyennes, et ces dernières peuvent à tout moment basculer, car les inégalités, elles, ont perduré. Ceci est vrai dans bien des villes. C’est pourquoi notre université a bel et bien un portail (internet) mais pas de murs…
J’ai lu votre magnifique roman et vous insinuiez que les démocraties occidentales reposent sur la domination, qu’elles sont inégalitaires et, en conséquence, insoutenables…
Le souci de la soutenabilité m’est venu plus tard. Nous croyons à l’ULV que le monde d’hier est un monde sans réelle liberté. Les études poussées le confirment : pour que les citoyens soient réellement libres, y compris libres de ralentir pour atteindre la neutralité carbone, il faut qu’ils soient égaux les uns par rapport aux autres. Il faut aussi qu’ils soient engagés dans les décisions qui régissent l’utilisation de l’espace et le fonctionnement de la ville. Et pour que les villes opèrent dans le cadre des limites de la biosphère – nous devons repenser à bien des choses.
Justement, parmi ces choses, certains vous accusent d’être hostiles à la démocratie et la propriété privée. Quel est ce procès ?
C’est tout le contraire. Nous voulons créer les conditions d’une vraie démocratie, non par l’élection de notables bien nés, hyper formés et souvent trop peu conscients de leurs lacunes. Nous voulons réfléchir à un système décisionnel qui repose sur des représentants tirés au sort, donc a priori incorruptibles et empiriquement plus intelligents.
Quant à la propriété, c’est parfois une condition de la liberté… Pensez à la situation du logement inabordable. Soit elle pousse les courageux à travailler d’arrache-pied pour gagner toujours plus d’argent au mépris des limites planétaires, soit elle les place en tant que locataire à la merci de leur bailleur. En risquant l’éviction à tout instant, on les empêche de prendre racine dans la ville et donc de s’impliquer dans la communauté. Dans notre idée, on peut régler beaucoup de problèmes de société avec une règle juridique simple : la propriété suit l’usage. On ne peut posséder que ce qu’on utilise soi-même. Et on doit pouvoir acquérir ce qu’on utilise effectivement. Ce principe pourrait être salvateur pour la crise du logement, pour le bien-être et pour la planète.
Professeur, je pense que vous venez d’aiguiser l’appétit de nos auditeurs en esquissant les premiers traits d’une ville soutenable et abordable.
Je reviens dans votre prochaine émission avec plaisir Maria. Diffuser des connaissances à tous pour un monde meilleur fait partie de mon mandat.
Ce texte est inspiré du roman Voyage en misarchie par Emmanuel Dockès.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger.