Nous sommes en guerre contre les vivants ! L’écriture prospective de l’année passée m’a permis de suivre l’actualité d’un œil différent, pas moins inquiet mais quelque peu plus distant. Sans surprise, le massacre écologique continue. Pis, il accélère. Après avoir dévasté pendant des décennies les terres et les océans à la recherche des « ressources » car c’est ainsi qu’on appelle ce que l’on pille – fourrures, bois, minéraux – notre civilisation persiste, tue et signe.
Nous autres, fragiles humains des villes, tristes êtres perdus sans navigation satellitaire ni mémoire, dépendants de mille choses pour aller, pour exister, pour nous repaître, toujours plus vite et plus loin pourvu que l’effort soit moindre, pour posséder l’accessoire livré à domicile par un courageux immigrant, lui aussi exploité, nous oublions le pétrole, la mine, l’enfant et le saccage. Les dépendances couplées à l’aveuglement alimentent la guerre contre le vivant.
Chaque dépendance est un mal dur à voir : désir inoculé, plaisir éphémère, symbole du statut, ces vaines envies dispensables ne répondent point aux besoins primaires ni de l’homme, ni de la femme, ni de l’enfant, ni de l’autre. Appelons ces petits luxes « désirs fatals », puisqu’ils taxent chaque jour un peu plus une biosphère irremplaçable.
Pourtant tout est là. Le tissu vivant qui recouvre notre planète miraculée du cosmos, si parfaite en tous points de vue pour peu qu’on s’y penche, recèle toutes les merveilles quand on y pense. Le seul outil de subsistance durable, notre commun capital, c’est la nature. En avoir, parmi d’autres choses, saboté l’horlogerie climatique fondamentale en toute connaissance de cause, compromettant les saisons, dit sûrement de nous qu’il y a quelque chose chez nous qui ne tourne pas rond.
Certains compères ont vu dans le capital naturel une mine d’or, des ressources à prendre et revendre vite et loin comme on ferait recel. Ça se passe en ce moment avec le bitume canadien, un produit énergétique particulièrement dangereux et qu’il serait donc utile de conserver précieusement, d’exploiter avec une extrême parcimonie plutôt que d’accélérer son épandage dans le monde. Ralentir immédiatement la production des hydrocarbures est absolument indispensable pour ne pas terminer dans le monde de Mad Max. Chaque goutte de bitume est destinée à être brûlée et à réchauffer un peu plus le climat en dérive. Que son exploitation soit soumise à des standards de neutralité carbone est une vaste bouffonnerie, une propagande tapissée sur les bus et dans le ferry. Il y a urgence à arrêter l’idiotie.
L’été dernier, le Canada a brûlé sur dix-huit millions d’hectares. Une surface inimaginable, même pour les gens du métier. C’est quatre cents pour cent de plus qu’une mauvaise « saison des feux ». Un record tellement gargantuesque que lorsqu’on voudrait le représenter dans les graphiques historiques des agences en charge du suivi des feux, il sort de la page. Et pas qu’un peu. L’armée canadienne a été mobilisée pour protéger et évacuer les civils. Voilà une des expressions de la guerre vers laquelle nous glissons. Les services de lutte contre les incendies recrutent des renforts en prévision de l’été prochain. Des régiments de soldats du feu sont en phase de constitution.
La résistance s’organise. Les activistes de Climate Defiance aux États-Unis poursuivent les membres exécutifs des compagnies pétrolières dans les rues, dans les hôtels, dans les réceptions pour perturber, humilier et les accuser de leur évidente corruption. Travailler dans le pétrole est de plus en plus perçu, et à juste titre, comme une tare. Participer à une guerre contre le vivant et contre les jeunes générations, de surcroît en mentant à toute la population, ne passe plus.
La sensibilité et la compréhension profonde de ce qui nous arrive gagne du terrain tous les jours. La guerre d’une économie de croissance rapide et perpétuelle au détriment de la santé et de la vie, y compris humaine, se voit, enfin. Des militants, des résistants s’impliquent et prennent des risques pour dire stop. Cette résistance est le fait de héros et d’héroïnes qui, au sein de la population, sont plus sensibles, plus courageux et plus déterminés à faire une différence. Il faudra les aider en se tenant prêt à les appuyer, les soutenir, les protéger. S’il nous reste une chance de ré-enchanter l’avenir, c’est maintenant qu’il faut se réveiller et choisir son camp.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger.