Dimanche dernier, ayant très peu à faire, je me suis assoupi tout en écoutant la radio. Celle-ci diffusait des chansons qui, pour la plupart, ont marqué mon enfance et mon adolescence. Retour à une époque que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Pas question ici de ressasser le passé qui pourrait me mener à une dépression chronique. Non, loin de là. Au contraire, j’ai pu revivre des moments tendres, envoûtants et parfois amusants. Un retour en arrière qui m’a permis de me projeter vers l’avant.
Par je ne sais quel hasard la chanson de Charles Aznavour Je hais les dimanches interprétée par Juliette Gréco, interrompit mon moment de nostalgie. De nos jours, il est vrai, nos dimanches ne sont plus ce qu’ils étaient. Mais de là à les haïr est un pas que je n’oserais franchir à l’exception peut-être de ces dimanches où il fallait que j’aille à la messe et servir d’enfant de chœur. À l’époque, je me souviens, les fidèles arrivaient endimanchés, chapelet à la main, communiaient et une fois le service fini se rendaient au café du coin, histoire de boire un petit coup à la santé du bon dieu Bacchus. À tout seigneur tout honneur puisque le dimanche, dois-je le rappeler, c’est le jour du Seigneur. Depuis ma conversion non forcée à l’athéisme je ne fréquente plus ces espaces religieux où le curé du coin, dépité mais résigné, ne m’attend plus les dimanches.
J’occupe maintenant mes dimanches d’une autre manière : je prie pour qu’il fasse beau le reste de la journée. L’Être suprême ne m’a jamais pardonné de l’avoir si sèchement déserté. Les dimanches, en effet, il pleut souvent à Vancouver. Que ceux qui m’en veulent et me rendent responsable de cette calamité me jettent la première pierre sur laquelle je ne pourrais bâtir quoi que ce soit sans l’aide du gouvernement fédéral qui a une autre crise du logement à fouetter.
Toujours est-il que je ne comprends vraiment pas pourquoi, contrairement au titre de la chanson, on ne puisse pas aimer les dimanches. La poésie souvent déforme la réalité plutôt que de la représenter. À moins d’être obligé de travailler à la sueur de son front cette journée là je ne vois pas ce qu’il y a de désagréable à consacrer ses dimanches aux plaisirs de la vie. De plus, à bien réfléchir, le dimanche tel que nous le connaissons, ne faisait pas partie du programme céleste selon l’ancien testament (Genèse 2, 2-3). Le samedi (Chabbat), le septième jour, Dieu se reposa. Mais, à ce que je sache, pas le dimanche. Une seule journée de repos durant une semaine de sept jours, avouez que c’était peu, que cela manquait de générosité. On méritait donc mieux. Au nez et à la barbe du bon Dieu (pensez Michel-Ange), qui n’y a vu que du feu, à moins d’avoir décidé par indulgence et charité à notre égard de fermer l’œil, nous nous sommes octroyé une autre journée de farniente. Ce n’est pas moi qui ira cracher sur cette excellente initiative bien méritée.
Les dimanches, il est vrai, peuvent pour certains porter à récrimination. L’oisiveté n’est pas appréciée de tous. Elle charrie avec elle l’ennui, le désœuvrement. Pour ces gens-là, dire « ce n’est pas tous les jours dimanche » est une expression dépourvue de bon sens. Et puis il y a ceux qui n’apprécient pas du tout l’ouverture des magasins le dimanche. Faire son shopping le jour du Seigneur représente un manque de respect envers ce dernier. D’autres estiment qu’au niveau syndical il y a abus de pouvoir de la part du patronat. Tous deux, à qui je conseillerais d’aller voir le film Jamais le dimanche de jules Dassin, ont droit à leur opinion mais de toute évidence personne, pour des raisons purement mercantiles et égoïstes, n’en tient compte.
Parlant de compte : j’ai eu le temps dimanche dernier, puisque je n’avais rien à faire, de jeter un coup d’œil furtif sur le dernier budget fédéral présenté, nouvelles chaussures aux pieds, par Madame Chrystia Freeland, notre ministre des finances. Les riches devront payer plus d’impôts mais s’arrangeront pour faire passer la note à la classe moyenne, et les pauvres auront de la misère à s’enrichir. Comme quoi rien de vraiment nouveau sous le soleil. Nous allons donc poursuivre notre petit bonhomme de chemin tout en continuant de nous prélasser les dimanches.
Pour tout vous murmurer à l’oreille, bien que je sois à la retraite et aussi invraisemblable que cela puisse paraître, toute la semaine j’attends avec impatience la venue du dimanche. Car, voyez-vous, le dimanche je joue au boulingrin, un jeu qui se joue en dix manches.