J’ai décidé de prendre congé de l’arène politique cette semaine. Je sentais le besoin de partager l’expérience vécue au marathon de Boston la semaine dernière.
Ma journée de marathon avait commencé sur une bonne note. Un ciel clair avec une température prévue idéale pour un marathon. Par la suite, c’était le départ pour le rendez-vous au Boston Common, le grand parc dans le centre de la ville, pour monter à bord des autobus qui transportent les coureurs au village des athlètes près de la ligne de départ, 42 kilomètres hors de Boston. Toute cette logistique contribue au caractère unique du marathon de Boston. On peut y entendre des langues d’un peu partout dans le monde.
L’énergie positive qui se dégage de ce village est indescriptible. C’est un mélange de nervosité, d’anticipation et de joie intense d’être de l’un des évènements sportifs les plus prisés dans le monde. La marche d’un kilomètre qui nous amène à la ligne de départ ressemble à une communion collective réunissant des milliers de coureurs. Vient enfin le signal du départ qui transforme l’anxiété vécue en énergie qui nous fait même oublier, pour un moment, que 42.2 kilomètres nous séparent de la ligne d’arrivée.
Celle-ci est comme un mirage après une longue marche dans le désert. On l’aperçoit avec environ 400 mètres à franchir. Et puis, c’est fait, la course est terminée. Normalement, l’exaltation du moment devrait durer plusieurs heures avec un heureux mélange d’épuisement et de grande satisfaction.
Mais voilà que le lundi 15 avril, quelqu’un est venu transformer le tout en véritable cauchemar en posant un geste dont la lâcheté n’a pas de limite. Même si au moment d’écrire ces lignes personne n’avait revendiqué l’attentat, il est clair que le but était d’infliger la terreur. Je peux dire que cela a été mission accomplie, à tout le moins à court terme. Je sais que ce fut le cas pour moi dans l’heure qui a suivi les détonations.
Sur le coup, personne ne savait trop bien si la virée mortelle des terroristes étaient terminée ou ne faisait que commencer. Dans les minutes qui ont suivi les explosions, les autorités nous demandaient de quitter les lieux du marathon pour retourner à nos hôtels tout en indiquant qu’il se pouvait que d’autres explosifs soient présents ailleurs dans la ville. Je ne suis pas du genre à être facilement intimidé, mais je dois avouer que les trois kilomètres à franchir à pied pour rejoindre mon hôtel, le service du métro étant interrompu, m’ont paru plus longs que les 42 kilomètres que je venais de courir.
Hélas, cet acte de terrorisme, parce que c’est bien ce dont il s’agit, a brutalement mis fin aux aspirations de milliers de coureurs qui n’ont pu terminer leur course. Mais, cela est bien peu en comparaison à ces spectateurs qui ont été si sauvagement tués et blessés par les bombes.
L’un des ingrédients principaux qui contribue grandement à la réputation de ce marathon c’est les centaines de milliers de spectateurs qui sont là tout le long du parcours à vous encou-
rager. Ils donnent aux coureurs la motivation de terminer quand les jambes décident qu’elles en ont assez. Ce sont ces mêmes spectateurs qui offrent des morceaux d’oranges, des verres remplis de glaçons et des serviettes humides pour vous rafraîchir. Tous ces petits gestes qui font une énorme différence.
C’est pourquoi une fois les détails de l’attentat connus, je n’ai pu m’empêcher d’avoir une pensée particulière pour ces personnes que j’ai vues et entendues alors qu’il ne me restait que quelques mètres à franchir pour conclure ma course. C’est à ces personnes que j’ai vues et entendues à la conclusion de ma course pour lesquelles j’ai une pensée particulière.
Il en est de même pour ces coureurs aveugles et avec d’autres handicaps que j’ai vu sur le parcours courant avec l’aide de guides. Je sais bien que la plupart n’ont pu franchir cette ligne d’arrivée mythique et ressentir cette joie intense, malgré le mal infligé par cette course, d’avoir dompté les 42.2 kilomètres d’asphalte du parcours.
Tout cela parce que certaines personnes décident de régler leurs comptes au nom de je ne sais trop qui ou quoi en s’en prenant à toute une population. On ne peut laisser ces crapules gagner. Il n’y a aucune justification possible à un tel geste. Tenter de l’expliquer de quelque façon qui soit est futile.