Récits poignants de personnages qui font cas de leurs états d’âme, le documentaire du réalisateur canadien Roger Parent vous tient admirablement en haleine. Plus d’une heure d’horloge durant, De Sherbrooke à Brooks met le doigt sur ce qui s’apparente à la quête d’une terre promise. L’œuvre offre au spectateur de vivre le sinueux trajet qui part du Congo vers les camps de réfugiés d’Ouganda ou de Tanzanie, pour aboutir à un exode à l’intérieur même du Canada. Tous dénudent les péripéties d’un exode les ayant marqués au fer rouge. Le géniteur de l’œuvre, que nous avons approché, reconnaît à juste titre que « les témoignages de ces protagonistes jettent un éclairage sur le système d’immigration au Québec et en Alberta ».
Là où ils espéraient cependant trouver le point de chute final pour panser les morsures de la vie, les immigrants qui ont accepté de témoigner doivent déchanter. La politique d’intégration que le Québec leur réserve et le refus de valoriser leurs compétences sont épinglés par tous. Tiraillés entre l’inclination pour Sherbrooke, leur « ville natale » et le manque d’emploi, beaucoup s’en vont à contrecœur dans l’Ouest, en Alberta. « Là-bas, à peine arrivée, j’ai décroché un emploi après une entrevue d’embauche qui n’a pas tardé ! », confie Angèle Juma. Amer. Désiré Kiana, ayant lui-même fait le trajet du Congo à Sherbrooke, avant d’aller s’établir à Brooks, affirme que : « Les jeunes immigrants qui arrivent ont besoin d’une intégration réussie ».
Partir encore ou s’enraciner enfin ?
Or Brooks fait la différence en la matière, consciente de l’atout que représente sa communauté diversifiée avec plus de quatre-vingts groupes : « là-bas, poursuit monsieur Kiana, fortement impliqué du reste au sein de la communauté pour une intégration réussie de ses membres, tous travaillent ensemble pour que chacun se sente chez soi ». La famille d’Estella Kasaba illustre d’ailleurs à merveille l’intégration réussie. Elle s’est acheté sa maison grâce au dur labeur des parents qui ont fait le choix du voyage de Sherbrooke à Brooks. De surcroît, la jeune Estella s’est vue primée pour son implication au profit du bénévolat communautaire. Elle dit à juste raison : « Je suis fière de moi, maintenant je parle le français, le swahili et l’anglais ! ». Une reconnaissance qui fait sûrement du bien et l’incitera à la persévérance.
Il y a, bien entendu, ceux qui ne désespèrent pas de construire leur nid à Sherbrooke un jour prochain. Est-ce par pur pragmatisme, l’envie ultime de se stabiliser enfin et de ne pas tout le temps être en errance ? Marie-Claude en est une illustration. Cette ressortissante camerounaise diplômée en hôtellerie, lâche sur un ton désabusé : « Pierre qui roule n’amasse pas mousse ». Ses propos trouvent leur sens quand on tient compte de ceux qui reviennent sur leurs pas pour se refaire au Québec à l’image de la mère de famille Angèle, qui se plaignait entre autres de l’insécurité qui guette les jeunes à Brooks.
Le français, même hors du Québec…
Il est heureux de constater que tous les protagonistes clament leur veine de se retrouver au Canada. Pas un seul n’a émis le regret de s’être établi au Canada, encore moins l’envie de s’en aller. Bien au contraire, le Canada apparaît comme un cadeau du ciel, tous sont aux aguets d’une chance, celle qui donnera un travail décent. Un bémol tout de même, Marie-Claude venue du Cameroun ne croit plus au rêve américain.
En ayant visionné le film, on peut toutefois se questionner s’il n’aurait pas fallu donner aux autorités locales de Sherbrooke l’occasion de s’exprimer ? « Il y a tellement de récriminations contre la politique d’accueil des nouveaux arrivants ! », disent certains. À cet effet, Roger Parent recadre les faits : « Ce que le film dépeint, c’est avant tout l’errance et la difficulté des choix de vie auxquels font face ces nouveaux arrivants. Le documentaire fait ainsi état des acquis et signale des défis existants par rapport à la rétention et à l’intégration des nouveaux arrivants ». De fait, cette œuvre majeure ne manquera pas d’être une référence pour toute réflexion sur la perpétuelle question migratoire qui se pose au Canada et à la terre entière. Roger Parent voit donc juste en s’intéressant à « cette population qui renouvelle présentement la francophonie de l’Ouest canadien ».
Les personnes intéressées peuvent visionner ce film sur UNIS TV le 20 novembre à 20 h, en version originale française, sur www.onf.ca (accessible gratuitement pour quarante-huit heures, dès le 21 novembre à 23 h) ou se le procurer également sur Internet à ce même site de l’Office national du film. Une tournée dans les communautés et les universités du Québec et de l’Ouest canadien est à prévoir pour l’automne et l’hiver 2016–2017.