L’expérience de l’exil au cœur de la poignante exposition « Kampala to Canada »

C’est pour commémorer, en 2022, le 50e anniversaire de la réinstallation des Asiatiques ougandais au Canada, que l’exposition Kampala to Canada a vu le jour. Présentée à la Surrey Art Gallery jusqu’au 28 janvier 2024, l’exposition regroupe les œuvres de douze artistes racontant l’expérience de l’exil, de l’adaptation et du mélange des cultures qu’ont connue la communauté sud-asiatique installée en Ouganda, forcée de quitter le pays par Idi Amin, dictateur ayant dirigé le pays d’une main de fer dans les année 70.

Situation vulnérable

En effet, l’ancien protectorat britannique ayant obtenu son indépendance en 1962 était devenu la patrie d’une communauté issue du sous-continent indien très vivante et ayant largement contribué au développement économique et culturel de « la perle de l’Afrique ». Une grande partie de cette communauté résidait à Kampala, la capitale et la plus grande ville du pays. « Lorsque l’Ouganda était sous domination anglaise, les Britanniques avaient mis en place un système social à trois niveaux, avec les Européens au sommet et les Africains noirs au bas de l’échelle. Après l’indépendance, lorsque les Britanniques ont quitté l’Ouganda, les Sud-Asiatiques se sont retrouvés dans une situation vulnérable. Le régime colonial britannique n’a pas encouragé l’intégration des groupes », explique Taslim Samji, commissaire d’exposition pour Kampala to Canada.

Taslim Samji, commissaire d’exposition pour Kampala to Canada. | Photo de Taslim Samji

Exil

Mais après le coup d’État de 1971 et le début de la dictature d’Idi Amin, la situation de la communauté asiatique de l’Ouganda se détériore. « En 1972, commence l’expulsion de tous les Asiatiques, c’est-à-dire des citoyens d’origine indienne et pakistanaise. Amin a donné à toutes les minorités asiatiques quatre-vingt-dix jours pour quitter l’Ouganda. Il affirmait que les Asiatiques exploitaient le système économique […], qu’ils étaient déloyaux et refusaient de s’intégrer aux Ougandais de souche », ajoute la commissaire d’exposition. La communauté se retrouve alors poussée à l’exil et forcée de trouver refuge loin des grands lacs et riches paysages ougandais. Certains trouveront le chemin du Canada. Et de cet exode est né un récit, pour toute cette communauté, racontant le choc, la résilience et l’adaptation de tous ces Asiatique-Ougandais au Canada. Leurs histoires les ont menés à travers les continents, de l’Inde à l’Afrique de l’Est, jusqu’au Canada. « Leurs voyages les ont conduits dans de petites villes à travers le Canada, et maintenant ils se sont installés dans la région métropolitaine de Vancouver », raconte Taslim Samji.

Hunyango par Norman Belen. | Photo de Taslim Samji

Caméléon

Et l’une des œuvres présentée dans Kampala to Canada évoque cette assimilation à Vancouver. Le tableau intitulé Hunyano (Caméléon), une peinture acrylique sur toile réalisée par Norman Belen représente un caméléon vêtu d’une chemise, un téléphone portable dans une main, tirant une valise. En arrière-plan il est possible de voir les voiles de l’emblématique Place du Canada, dans le centre de Vancouver. « Cette œuvre illustre parfaitement l’idée d’assimilation. En s’assimilant à la culture dominante d’un lieu, on sacrifie la pratique de sa culture traditionnelle. La perte de la culture traditionnelle est difficile à récupérer, surtout en ce qui concerne la langue », explique la commissaire d’exposition. Grâce à l’art, les membres de la communauté asiatique-ougandaise vivant au Canada peuvent explorer des sujets communs à d’autres communautés issues de l’immigration ou ayant vécu l’exil comme la solitude, l’assimilation, la perte des liens avec sa culture d’origine, mais aussi un sentiment de perte et de deuil lié aux départs forcés.

Dadima par Dr. Sultan Baloo. | Photo de Taslim Samji

Déracinement

L’expérience de déracinement fut douloureuse pour beaucoup au sein de la communauté asiatique-ougandaise. Mais Taslim Samji souligne également l’importance symbolique de l’arrivée de cette communauté au Canada : « C’était la première fois dans l’histoire du Canada que le pays acceptait un grand nombre de réfugiés non européens et non chrétiens. Tous sont arrivés sans argent, le gouvernement ougandais ayant confisqué leurs biens. » Certains décidèrent même de prendre le chemin du retour, et se réinstallèrent à Kampala.

Prospérité

Mais pour ceux ayant décidé de rester au pays de l’orignal et des Rocheuses, la communauté asiatique-ougandaise est devenue une des composantes de la mosaïque colorée de la population en Colombie-Britannique, participant à la prospérité économique et à la vie culturelle comme la communauté avait autrefois été le pilier de l’entreprenariat en Ouganda. L’œuvre centrale et éponyme de l’exposition, une peinture acrylique sur toile réalisée par Taslim Samji elle-même, représente d’ailleurs des oiseaux volant de l’Ouganda vers le Canada. Chaque oiseau portant une seule valise, car c’était tout ce que les Asiatiques-Ougandais étaient autorisés à apporter avec eux, explique l’artiste.

Taslim Samji exprime aussi la reconnaissance de toute la communauté asiatique-ougandaise envers le Canada pour les avoir accueillis, avant de conclure « cette communauté est un exemple de l’atout que représentent les immigrants pour le Canada, même s’ils arrivent au pays en tant que réfugiés et sans le sou. »

Pour plus d’informations, visiter www.surrey.ca/arts-culture/surrey-art-gallery/exhibitions/kampala-canada