Vancouver est connue pour être l’une des mecques mondiales du yoga, pourtant cette discipline n’est pas à la portée de toutes les bourses et devient même de plus en plus élitiste. Un studio de la rue Hastings à Vancouver, a décidé d’offrir du yoga pour tous. Tous les cours de Karma Teachers sont entièrement gratuits, ou sur don. Les seules prestations qu’ils font payer sont celles pour former de futurs professeurs. Un retour aux valeurs fondamentales du yoga qui met de côté le business.
Il suffit de passer la porte ornée de graffitis d’une ruelle derrière West Hastings et monter les quelques marches pour se sentir immédiatement plus détendu. Prenez un tapis, et le cours commence. Libre à vous, en quittant les lieux, de laisser une pièce, un billet, ou rien du tout, dans la boîte aux dons posée sur le bureau de l’entrée. Karma Teachers est le seul studio de yoga d’Amérique du Nord proposant des cours entièrement gratuits, 365 jours par an. Il ne bénéficie d’aucune subvention gouvernementale et vit « de la gentillesse des gens », explique naturellement Emerson Lim, le fondateur du studio. Âgé de 43 ans, il commence à pratiquer le yoga en 2010, lorsque sa mère lutte contre le cancer. « C’était ma manière de tenir le coup. Quand elle a guéri, je me suis dit que l’aide que le yoga m’apportait, tout le monde devrait pouvoir en bénéficier, et donc que cela devrait être accessible à tous », explique-t-il. C’est ainsi qu’il crée le studio en décembre 2011.
« Des montagnes à franchir, accepter sa colère »
Le choix se s’établir dans le quartier sensible du Downtown Eastside ne s’est pas fait au hasard. « Il y a tellement de pauvreté à Vancouver… Instaurer un montant de don minimal fermerait déjà la porte à beaucoup. Nous ne voulons laisser personne à l’écart, le yoga n’est pas réservé à ceux qui ont de gros moyens. Le fait de promouvoir le yoga gratuit, ça n’a pas de prix », affirme Emerson Lim. Et le directeur général, Michael Olivotto, de poursuivre : « Cela ne dévalue pas le modèle, ça lui donne plus de valeur. En Inde, l’accès aux ‘ashrams’ est gratuit. Ceux qui ne peuvent pas donner d’argent donnent de leur temps, de leur gentillesse. Les 5$ d’un étudiant équivalent les 20$ d’un chef d’entreprise. »
Un système qui n’exclut pas des dons encore plus importants. Quelques centaines de dollars à plusieurs reprises. « On m’a même remis un chèque de paie. Cette dame était arrivée au studio trois mois plus tôt, bien habillée, plutôt chic. Elle venait de perdre son emploi, un peu déprimée, et ne pouvait plus aller à son studio habituel. Quand elle a retrouvé un emploi, elle m’a dit : ‘tu m’as sauvé la vie’ et a fait don de sa première paie, en retour du bien-être qu’elle avait pu trouver chez nous », raconte Emerson Lim.
Maintenant que le studio se fait connaître, les foyers pour femmes et les centre de convalescence ou de désintoxication envoient plusieurs de leurs résidents à Karma Teachers. « Le yoga, ça ne se résume pas à des licornes et des arcs-en-ciel, c’est aussi des montagnes à franchir, accepter sa colère, se concentrer sur sa douleur pour trouver une certaine paix », explique Michael Olivotto. C’est ainsi que Tim, ancien alcoolique et drogué, s’est reconverti en professeur de yoga. Il commence en 2013 alors qu’il est en guérison puis rejoint la formation de Karma Teachers. Diplômé depuis janvier 2015, il assure devoir beaucoup à cet endroit. Désormais enseignant, il s’applique à rendre ce que Karma Teachers lui a apporté.
Transmettre et former les professeurs de demain
Ce sont les aspirants à être professeurs de yoga en cours de formation, qui financent le fonctionnement du studio. Certains peuvent obtenir une bourse. Après 200 heures de cours, ils sont diplômés d’un certificat national décerné par la Canadian Yoga Alliance. Ils peuvent enseigner n’importe où, mais doivent « rendre à la communauté » en enseignant bénévolement s’ils avaient préalablement obtenu une bourse. « Il s’agit de promouvoir le don de soi, souligne Emerson Lim. On veut que notre communauté s’agrandisse, que chacun voie combien il est bon de rendre ce qu’on a pu nous apporter ».
C’est donc ça le Karma Yoga, le yoga du désintéressé. Sans rogner sur la qualité, assure Michael Olivotto. « Une partie de la formation consiste en l’acquisition de la confiance nécessaire pour donner un cours. En dehors des techniques de respiration ou de postures, ce qu’on attend surtout d’un bon professeur, c’est qu’il soit authentique, libre de ses peurs », conclut-il.