Vancouver Jewish Film Festival : Une lune de miel polonaise

Lune de Miel (My Polish Honeymoon pour le public anglophone), sorti l’année dernière en France, fait l’affiche le 3 mars au Festival du film juif de Vancouver. Passant de l’autre côté de la caméra, Elise Otzenberger relève le défi de réaliser une comédie fraîche et légère, sur un sujet douloureux et profond, la Shoah, pour son tout premier film.

Portée par le couple Judith Chemla (Une Vie, Camille Redouble) et Arthur Igual (La Jalousie, Mal de Pierres), cette comédie romantique réussit à aborder la question del’identité juive ashkénaze et le voyage de retour sur les traces des ancêtres polonais avec une tonalité douce-amère qui fait tout le charme de ce film.

« J’ai créé une comédie car c’est le style d’écriture que j’aborde naturellement et avec lequel j’ai l’habitude de travailler. Tout s’est mis en place naturellement. Sans stratégie », confie Elise Otzenberger.

Voyage de retour

Brigitte Roüan et Judith Chemla dans Lune de Miel.

Pour se rendre à une commémoration dans la petite ville de Zgierz près de Lodz, en Pologne, d’où vient la famille d’Adam (Arthur Igual), le jeune couple quitte Paris et se lance dans une lune de miel toute particulière. Poussé par l’enthousiasme d’Anna (Judith Chemla) beaucoup plus intéressée à l’idée d’en apprendre davantage sur le pays de sa grand-mère et ses racines juives polonaises que son compagnon, ce dernier accepte, quoique peu emballé par ce choix de destination romantique pour leurs premières vacances de jeunes mariés.

Isabelle Candelier, Antoine Chappey, Brigitte Roüan, Arthur Igual, et Judith dans Lune de Miel.

C’est sur cette première situation décalée que démarre le voyage des deux tourtereaux, et Elise Otzenberger continue de jouer sur l’absurde et le choc culturel tout au long du film, dans un périple qui dévoile au fur et à mesure les divergences des deux amoureux. Entre Anna qui souhaite renouer avec son héritage culturel et Arthur qui voudrait laisser le passé là où il est, la tension est palpable. Mais en y ajoutant un humour piquant et des répliques acerbes, sur fond de satire bon enfant de la société polonaise, Elise Otzenberger réussit à transformer ce retour aux sources mélancolique, un voyage qui a été le sien, en un voyage initiatique rythmé et drôle.

Et c’est avec beaucoup d’esprit et cette même mélancolie que Mme Otzenberger nous invite à repenser la difficulté de transmettre un héritage culturel aussi lourd et douloureux, celui des parents d’Anna et d’Adam, traqués parce que juifs, à un nouveau-né dans une société où l’antisémitisme resurgit, décomplexé, le petit Simon qu’Anna et Adam ont laissé à Paris pour s’envoler en lune de miel. C’est en ce sens que cette comédie romantique va bien au-delà que les simples blagues sur le goulash, les belles-mères, et l’alcoolisme polonais, en nous parlant de façon touchante de la judéité, du désarroi des jeunes juifs européens n’ayant pas vécu la Shoah face au mutisme et à la douleur de leurs aînés, du devoir de parents et du devoir de mémoire.

« Pour moi, Anna et sa génération (la troisième) permettent de se réassocier au monde perdu. Ils osent poser des questions, bousculer, retourner là-bas… Ce que leurs propres parents n’ont pas pu faire », partage la réalisatrice.

Elise Otzenberger.

On y voit aussi une jeune femme en pleine crise identitaire : Anna, qui n’a pourtant pas été élevée dans la pure tradition ashkénaze, décide de faire circoncire son fils par un rabbin et tente d’imposer un régime sans porc au sein de sa famille, ce qui ne fait qu’exaspérer son jeune mari, « souvent je me dis que ça serait plus simple si t’étais pas juive ».

Point d’orgue de ce long-métrage, l’apparition d’Evelyn Askolovitch, rescapée de la Shoah ayant été déportée à l’âge de quatre ans, qui raconte aujourd’hui son vécu à d’autres enfants. Cette scène émouvante détonne avec l’humour présent tout le reste du film, et nous fait passer des rires aux larmes, permettant à Mme Otzenberger de passer de la comédie au témoignage, de la fiction aux faits historiques.

La réalisatrice, en utilisant la judéité fantasmée d’Anna et les « sensations de ses ancêtres » qui la pénètrent soudainement, fait également une critique acerbe du Disneyland de la Shoah, qu’est devenu Cracovie. Une façon de rejeter la marchandisation de la mémoire juive et de l’histoire. Un premier film audacieux pour cette jeune réalisatrice française aux multiples talents !

Pour plus d’informations veuillez visiter le : www.vjff.org