Le marbre et la sécurité

C’est à d’heureux hasards mêlés à la curiosité et au génie éclectique d’un artiste et designer torontois que le Nikkei National Museum & Cultural Centre de Burnaby doit l’exposition Safe | Home.

Sur ses tableaux et sculptures de papier, exposés du 26 octobre 2021 au 30 avril 2022, Kellen Hatanaka retrace le lien fort entre la célèbre équipe de baseball vancouvéroise Asahi et la communauté nippo-canadienne.

Fierté

Kellen Hatanaka. | Photo de Kellen Hatanaka

Sur des œuvres aussi prégnantes qu’expressives, l’artiste canadien de descendance japonaise explore les concepts d’identité, d’intégration et d’exclusion, en mettant en lumière les rapports de force à l’œuvre sur le terrain de jeu et dans la représentation de l’équipe de baseball qui fut autrefois la fierté de Vancouver et de toute la communauté qu’elle représentait. En effet, l’Asahi était bien plus que l’équipe de choc canadienne du baseball. Formée en 1914, l’équipe entièrement composée de Nippo-canadiens devint un élément essentiel de la construction de cette identité et fut louée pour son excellence et son esprit d’équipe. Le succès et la popularité des Asahi sont devenus synonymes d’intégration réussie. Leur maillot blanc et rouge, rappelant les couleurs des drapeaux canadien et japonais, est devenu l’étendard d’un Canada multiculturel et ouvert. « Ils ont créé un style de jeu unique, connu sous le nom de Brain Ball, et le baseball est devenu partie intégrante de la culture nippo-canadienne », raconte Kellen Hatanaka. « C’est un exemple parfait de participation à la culture dominante tout en conservant la culture et l’identité propres à une communauté minoritaire ». Les Asahi ont réussi le pari de s’imposer dans un sport considéré comme intrinsèquement nord-américain, sans renier leur héritage japonais. La cohésion et le style unique qui propulsèrent la petite équipe de la rue Powell à Vancouver au rang international rencontrèrent une fin prématurée lorsque les membres de l’Asahi furent envoyés en camp d’internement par le gouvernement fédéral, comme des milliers d’autres Nippo-canadiens,
en 1942.

Représentation

Et le triste sort des Asahi, symbole d’unité dans la diversité pour le Canada, réveille des souvenirs douloureux, face à un accroissement des actes haineux visant les communautés asiatiques exacerbé par la pandémie de COVID-19. « J’ai intentionnellement placé ces œuvres dans un contexte contemporain pour établir des parallèles avec les problèmes auxquels les [Nord-]américains d’origine asiatique sont toujours confrontés aujourd’hui », explique l’artiste. L’identité des Nord-américains de descendance asiatique est un thème récurrent dans les œuvres de Kellen Hatanaka. L’artiste porte également un intérêt particulier au sport pour son aspect émotionnel, porté par la compétition et tout ce qu’elle révèle de l’être humain, mais aussi de la représentation qui y prend place. « Étant donné que les Asiatiques sont largement sous-représentés dans le sport, il était important pour moi de représenter des figures sportives asiatiques de premier plan dans mon travail afin de renverser les récits et les stéréotypes exclusifs », ajoute Hatanaka. Les thèmes et problématiques abordés par ces œuvres créées pour la plupart au tout début de la pandémie semblent d’autant plus pertinents aujourd’hui. « Leur lien avec la montée du racisme et de la violence anti-asiatiques ne peut être ignoré mais, malheureusement, je pense que la raison pour laquelle ce travail semble opportun est que le sentiment anti-asiatique est un problème omniprésent en Amérique du Nord depuis l’arrivée des premiers immigrants asiatiques aux États-Unis et au Canada, et qu’il nous affecte encore aujourd’hui », déplore l’artiste. « Cependant, je n’aurais jamais pu anticiper la laideur que la pandémie allait révéler. »

Heat par Kellen Hatanaka. | Photo de Kellen Hatanaka

Un soutien mutuel

Les matériaux choisis par Hatanaka ne sont pas non plus laissés au hasard. Détourner des matières pour les transformer en canevas, comme les feuilles de papier manille assemblées, permet de symboliser la communauté japonaise, « résiliente et industrieuse », capable d’utiliser des matériaux d’une manière innovante. Ce papier se déforme sous la peinture et ajoute un élément sculptural à l’œuvre. C’est aussi une référence aux panneaux confectionnés par les supporteurs pour soutenir leurs équipes lors des matchs. Le papier, matériau délicat qui devient extrêmement rigide lorsqu’il est assemblé et travaillé, symbolise la force que l’on trouve dans les communautés lorsque les gens se rassemblent pour se soutenir mutuellement.

Tout comme pour le papier utilisé par Kellen Hatanaka, c’est le travail et la cohésion qui ont fait la force des Asahi. En surmontant les préjugés, le rejet et en s’affranchissant des barrières sociales, les Asahi de Vancouver ont rassemblé des supporteurs de toutes origines et restent encore aujourd’hui un symbole populaire d’espoir, d’acceptation, de respect et de persévérance pour une société canadienne plus inclusive et qui célèbre sa diversité.

Pour en savoir plus, visitez : www.centre.nikkeiplace.org