« Écrire avec le feu » pour ne pas se laisser consumer

En Inde, il existe un journal entièrement détenu et géré par des femmes, le Khabar Lahariya (qui peut être traduit approximativement par « vagues de nouvelles »), né en 2002. Ces journalistes formées sur le terrain sont de la communauté des Dalits, considérée comme la caste des « intouchables » et c’est cette double peine qu’ont choisi de raconter les cinéastes indiens Rintu Thomas et Sushmit Ghosh dans leur documentaire Writing with Fire (Écrire avec le feu en français), qui sera projeté au cinéma VIFF dès le 4 décembre. À voir absolument tant il rend compte avec force du parcours de ces femmes intrépides qui inspirent et pour l’universalité de leur message.

Journalisme, démocratie et justice, forment un trio souvent entrelacé au cœur de la vie des trois protagonistes principales : Meera, Suneeta, Shyamkali, dont le caractère visionnaire et l’impétuosité ne laissent pas indifférents. « Les femmes dalits ont subi les brutalités les plus fortes de cette hiérarchie. » Cet avis écrit pour premier plan, couplé à la scène d’ouverture aussi déchirante que troublante, introduit d’emblée le spectateur à la situation de ces citoyens, et les cinéastes gardent leur public au plus près des journalistes par l’utilisation de la caméra à l’épaule, apportant un sentiment d’intimité profonde, entretenant tout au long du film un cycle alternant sentiments d’injustice et d’espoir, grâce à Meera, Suneeta et Shyamkali.

« … combattre les injustices et représenter les voix qui sont tues. » | Photo de Writing with Fire

Montrer le quotidien pour obtenir justice

La région rurale d’Uttar Pradesh, où se déroulent les faits, est l’une des plus peuplées de l’Inde, où il n’existe que très peu de médias. Il y règne pourtant des problèmes d’assainissement public, de corruption, de viols sur les femmes dalits et une montée du nationalisme religieux depuis bientôt trois ans. Des sujets que le journal couvre en priorité mais dont la nature peut s’avérer dangereuse. Certaines scènes sont d’ailleurs peu supportables tant la notion de danger transperce l’écran.

« Pour elles, c’est : “Si je ne le fais pas, qui le fera?” », considère Rintu Thomas, dans une entrevue accordée à la journaliste Jana Sepehr à l’occasion du festival du film des droits humains de Berlin cette année. Une position pour elles justifiée par un sens profondément ancré de rendre justice. « Ce qui m’a marquée immédiatement, raconte Sushmit Ghosh dans la même entrevue, c’est la vision qu’ont ces femmes. Comment Meera et Kavita expliquaient leur cause, la clarté du pourquoi il leur fallait le faire. »

Avec pour seule arme leurs téléphones portables, pour lequel il leur faut trouver des astuces pour le recharger puisqu’elles vivent sans électricité, elles démantèlent un système patriarcal et misogyne millénaire. « Une douce force de la nature », c’est ainsi que Thomas décrit Meera en particulier. « De travailler comme journaliste, on se bat aussi pour transformer notre société », peut-on entendre cette dernière dire dans le film.

Changer la société

La question de la sécurité des journalistes est d’autant plus pressante qu’elle est vécue par des femmes. Car le film pose également la place de celles-ci dans certaines sociétés, ici en Inde, une place qui n’en est pas une, mais plutôt un poids et un risque. « Quel genre de vie est-ce donc ? J’ai le sentiment que c’est le plus grand des péchés que d’être une femme. On est un poids pour ses parents puis ensuite une esclave de son mari. Mon choix (de travailler) peut faire honte à ma famille. Devrais-je sacrifier ma liberté pour sauver l’honneur de ma famille ? »,
se demande Suneeta.

Écrire avec le feu est une histoire de pouvoir(s), de résistance, mais comme le fait entendre le co-directeur, il y a une dimension universelle à leur histoire. « Meera me montre qu’un autre monde existe, mettant en lumière le combat pour une cause noble. C’est tellement facile pour elle d’abandonner, et pourtant malgré les obstacles, pour toute les bonnes raisons, quand on pense que la démocratie est l’essence de sa nation, et puis la façon dont elle forme les journalistes : c’est un modèle pour moi, un modèle d’espoir, ça me montre vraiment qu’un autre monde existe si on s’en donne les moyens », partage-t-il.» Pour moi, j’en retiens une nouvelle définition du courage, et j’ai vu le courage en action, à la maison et au travail et qu’une voix compte, qu’une personne qui résiste, compte », conclut quant à elle la co-directrice.

Tout au long du film, le spectateur sent à quel point les cinéastes se sont sentis investis de leur devoir de faire connaître ces femmes et d’insuffler l’inspiration qui émane d’elles. Si le spectateur ressent d’abord le poids de ce dont il n’avait probablement pas connaissance, la force donnée par ce film essentiel reprend vite le dessus et donne l’envie de se lever pour soi-même aller combattre les injustices et représenter les voix qui sont tues.

Writing with Fire, à partir du 4 décembre au VIFF www.viff.org