Nostalgie perlée

« Le perlage est un cadeau ». C’est ainsi que commence la brochure descriptive de la prochaine exposition de la Bill Reid Gallery de Vancouver, Beaded Nostalgia (Nostalgie en perles). Soixante-deux œuvres sont présentées jusqu’au 23 octobre, avec en exergue, quatre artistes de communautés autochtones du pays.

Entretien avec Aliya Boubard, commissaire assistante de l’exposition, pour mieux comprendre ce « cadeau » : les perles en tant que telles, mais aussi et surtout, la ligne de vie que la pratique du perlage représente pour ces citoyens, un fil d’Ariane avec leur culture.

Aliya Boubard, commissaire assistante de l’exposition Beaded Nostalgia. | Photo par Gratianne Daum

C’est un artefact qui vient souvent à l’esprit comme emblème des peuples autochtones dès lors que l’on parle d’eux : les objets et parures de perles multicolores représentant leur histoire, leurs croyances et leur identité. Il est l’un des rares traits matériels de leur culture, celle-ci étant pour beaucoup une passation orale. Et s’il est devenu un accessoire de mode dans beaucoup de sociétés, le perlage traditionnel autochtone existe depuis des millénaires et revêt une nouvelle signification aujourd’hui, notamment à l’heure de la Réconciliation.

Modus vivendi

Aliya Boubard est originaire des terres Sagkeeng au Manitoba et raconte que très peu de membres de sa famille pratiquaient le perlage. Elle-même ne s’y est mise que récemment. La brochure descriptive explique que l’expropriation subie par les peuples autochtones au plus fort de la colonisation a affecté durablement leur lien avec leur identité et leur capacité à créer leur art traditionnel.

La commissaire explique que « si son thème est celui de la nostalgie, l’exposition se concentre également sur les attaches à un lieu significatif, une identité et des expériences personnelles » et met de côté tout aspect revendicatif. « Je ne pense pas que ce soit une manière de se la réapproprier, car elle a toujours fait partie de ce que nous sommes en tant que peuples autochtones. Que ce soit pré- ou postcolonisation. Cela fait longtemps que le perlage existe, seulement il évolue constamment avec les artistes », ajoute-t-elle. « Je pense que cette pratique artistique est utilisée pour établir des liens de plusieurs sortes. Que ce soit avec nos cultures, les membres de notre groupe, notre famille, nos proches », explique Aliya Boubard. Les émotions peuvent être mauvaises conseillères. Mais l’art, dans sa pratique manuelle, a un pouvoir indéniable pour les faire siennes. Ce n’est alors pas tant un modus vivendi mais un moyen d’expression personnelle et sociétale : l’objet perlé représente la vision de l’artiste qu’il a de l’histoire commune dans laquelle il évolue, sans volonté motrice de rendre justice. Autrefois utilisées avant tout comme outil d’archives, les perles sont aujourd’hui utilisées pour le moment présent.

Un art mémoriel instagrammable

Cette évolution de la pratique dans la tradition et son ancrage dans l’actualité se retrouve dans la majorité des œuvres exposées. Toutes les techniques traditionnelles sont utilisées, à savoir l’enfilage simple perle par perle, l’enfilage en utilisant un métier à tisser et la couture des perles sur un support. Les styles traditionnels sont également repris tels que les formes florales, géométriques et certaines plus abstraites. La modernité tient dans l’objet de la représentation. Par exemple, certaines pièces pop culture telles que la chaise de camping O Canada de l’artiste Nico Williams, l’une des plus impressionnantes, ou bien les boucles d’oreille « Bepsi » de Kahala Marr similaires à un soda bien connu. Sur la stylistique, Aliya Boubard fait savoir que dans le Lower Mainland, cette pratique n’était pas très courante, mais plutôt dans le nord-est de la province. Elle indique également que l’influence des prairies y est très notable. Elle note cependant qu’ « il est difficile de généraliser car les styles et techniques du perlage changent d’un endroit à un autre. »

Ce qui rassemble cependant ces styles et ces artistes aujourd’hui ce sont des mots-clefs tels que #nativebeadwork ou bien #indigenousbeadwork. Comme pour beaucoup d’arts manuels, la pandémie a eu un effet positif et a en l’occurrence démocratisé le perlage, en particulier les boucles d’oreille, que l’on retrouve en majorité dans l’exposition. Et c’est d’ailleurs, de son aveu, ce qui est arrivé à la commissaire adjointe: « Internet et les réseaux sociaux au sens large ont ouvert la pratique à une audience large qui n’aurait peut-être pas été touchée avant cela. Instagram en particulier a permis aux artistes de partager ce qu’ils font sur cette plateforme publique et de vendre leur travail non seulement aux personnes autochtones mais aussi aux allochtones. »

L’occurrence de ces mots clefs met en évidence une fierté et un engouement pour l’art contemporain et la créativité autochtone. Elle voit également l’aspect porteur d’Instagram en cela que les artistes peuvent échanger entre eux et parle d’une « communauté numérique très importante. »

Beaded Nostalgia, informations complètes sur le site www.billreidgallery.ca