La décroissance est un concept macro-économique qui vous veut du bien. Selon que vous soyez puissant ou misérable, vous voudrez le taire ou l’amplifier.
Bienvenus sur Terre où la concentration actuelle de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est de 422 ppm (parties par millions). Un tout petit nombre (0,04%). Méfions-nous toutefois des petites quantités qui, comme le poison dans les veines, déclenchent de mortelles conséquences. La surchauffe planétaire a dépassé en janvier le seuil symbolique du 1,5 degré de réchauffement selon l’institut Copernicus. Un chiffre tout petit en apparence, et pourtant lourd de conséquences.
Depuis que les croyances, le goût du beau et l’étude de la morale se sont fait la malle, il semblerait qu’il n’y ait plus que le règne de la consommation et de la croissance économique qui vaille. Et pourtant, à mesure que les grandes idées philosophiques morales héritées des lumières cèdent à la rationalité productiviste, les niveaux de richesse explosent certes, et les indicateurs de bonheur, de santé et de décence stagnent puis s’effondrent.
N’aurions-nous pas besoin de nouvelles idées ? La décroissance à la rescousse ? Une définition claire et structurante dont tout le monde devrait parler pourrait être, selon Timothée Parrique, docteur en économie :
« La décroissance est une réduction de la production et de la consommation – pour alléger l’empreinte écologique – planifiée démocratiquement – dans un esprit de justice sociale et – dans le souci du bien-être ».
La production de logements sociaux, de nourriture de qualité,
de médicaments et d’œuvres littéraires n’est pas en cause. Il reste largement assez de place pour en faire plus. Entrepreneurs, salut ! En revanche, la production d’espadrilles en peau de crocodile, de cigarettes, de VUS, de publicité et de conseils en optimisation fiscale pourrait, elle, utilement diminuer.
Il faut alléger l’empreinte écologique des économies obèses. Et ce n’est pas ici le mode de vie du Jamaïcain moyen dont le jour du dépassement, selon le Global Footprint Network, est fixé au 12 novembre, qui est en cause. En revanche, le niveau de consommation des ressources planétaires et le gaspillage du Canadien moyen dont le jour du dépassement tombe lourdement un 15 mars, peut-être ? Tout est question de priorité et parmi nous, il n’est évidemment pas question de demander des efforts aux travailleurs modestes ni à nos frères et sœurs traumatisés, amaigris, dépossédés que l’on croise dans le Downtown Eastside. Cependant, celles de ceux que l’on croise au golf, dans les aéroports et dans les bars à cocktails… peut-être ? Avez-vous entendu l’histoire mesquine de cette startup qui transporte de la glace du Groenland jusqu’à Dubaï pour rafraîchir les clients du bar à cocktails ? Véridique !
Pour décider des priorités, il faudra se mettre d’accord sur un mode opératoire. Il s’agit de planifier les choix en fonction de ce dont on manque et de ce dont on a besoin. Puisque la loi du marché et du vote par le dollar n’a jamais vraiment servi la société, peut-être est-il temps de revenir au bon sens. Puisque l’école et la radio publique offrent gratuitement l’instruction afin d’aider à forger la conscience de futurs citoyens dignes de participer à la démocratie
canadienne de demain, pourquoi pas organiser la consultation fréquente, la concertation sincère, la discussion approfondie avant de décider démocratiquement ? Une vie égale une vie et une vie égale un vote.
La décroissance s’ancre dans un esprit de justice sociale. « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droit » selon la déclaration universelle des droits de la personne. Nous sommes censés nous protéger collectivement du risque de sombrer dans la pauvreté, la misère ou la catastrophe écologique, quitte à ce que cela implique de niveler les excès de certains. Limiter la privatisation inutile des gains, cela a été fait lorsque l’effort civil et militaire demandé aux Canadiens pendant la Deuxième Guerre mondiale a conduit à mettre un cap sur les profits. Les efforts que les mieux lotis pourraient consentir en priorité sont souhaitables dans une société des plus inégalitaires que l’histoire contemporaine ait connue. À quoi sert la politique si ce n’est que de faire des choix de rééquilibrage quand nécessaire ?
Quant au bien-être de chacun, regardons un instant dans le fond des yeux du voisin. Qui aujourd’hui et ici peut nous assurer se sentir pleinement serein ? Pourriez-vous être confiant et optimiste dans un avenir qui trace inexorablement sa route en direction des flammes ? La recherche du bien-être humain n’est peut-être pas un droit protégé par les lois. Mais c’est sûrement un devoir commandé par la conscience. Voilà à grand trait les cinq composantes du concept de décroissance.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur
EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger.