Hastings Est, Vancouver, 18 heures. La nuit est tombée depuis plus d’une heure. Dans la rue, la population se mêle aux sans-abris et aux toxicomanes aux visages et corps abîmés par une vie de dépendances et de désespoir. Parmi eux, une grande partie appartient à ce que l’on appelle les minorités visibles.
Ce triste exemple, bien connu des Vancouvérois, nous alerte sur un problème de société que diverses associations tentent de résoudre : celui de la détresse psychologique à laquelle font face les immigrants. Ces organisations ont établi une relation entre différences culturelles, santé mentale et dépendance. Zoom sur ce lien méconnu et ignoré des médias de masse.
La cosmopolite Colombie-Britannique
En 2012, 36 000 personnes se sont installées dans la province. Environ trois quarts d’entre elles provenaient d’Asie, 12 % d’Europe et 3,5 % d’Afrique. Ce que le dernier recensement de 2001 révèle surtout, c’est que sur les quatre millions d’habitants que compte la Colombie-Britannique, plus d’un million sont des immigrants et 60 % appartiennent à une minorité visible. Face à l’importance de ces chiffres, des associations se sont posées la question de l’intégration et de l’accès aux soins pour ces nouveaux arrivants.
Selon la Multicultural Mental Health Liaison, la Cross Cultural Mental Health and Substance Use, la BC Mental Health and Addiction Services ou encore l’AMSSA (Affiliation of Multicultural Societies and Services Agencies of BC) qui regroupe plus de soixante-dix organismes pour les immigrants, les différences culturelles sont un facteur supplémentaire jouant un rôle prépondérant dans la santé mentale. Est-ce à dire que les immigrants sont plus exposés aux risques de maladies psychologiques et de dépendances aux drogues que les Canadiens ?
Les études montrent que toutes les populations sont touchées à part égale mais l’inégalité se retrouve dans le manque de structures de soins adaptés.
La question du bien-être
Barrière de la langue, éloignement de la famille et des amis, difficulté à trouver un logement ou un emploi, mentalité et repères différents, isolement social, racisme, discrimination… Lorsqu’on immigre dans un autre pays, tous ces facteurs peuvent influer sur notre bien-être personnel. « Lorsque je suis arrivé à Vancouver, je ne connaissais personne, je n’avais pas de pied à terre, la recherche de travail s’est avérée plus compliquée que prévue et mon anglais était élémentaire. C’est une société occidentale, mais ici, tout fonctionne différemment. J’ai commencé à déprimer, à fumer du cannabis… plus qu’en France. Il était facile de tomber dans le cercle vicieux du rien ne va mais je me suis accroché et aujourd’hui, tout va bien », témoigne Paul, 24 ans, originaire de Lille, dans le Nord-Pas-de-Calais en France.
Un cas, loin d’être unique. « Nous entendons beaucoup d’histoires de ce genre », explique Sarah Hamid-Balma, Directrice de la promotion de la santé mentale, chapitre de l’Association canadienne de la santé mentale pour la Colombie-Britannique. « Une mère célibataire immigrante qui a des revenus incertains et qui doit faire face au racisme; une personne installée au Canada qui fait venir ses parents et grands-parents et doit s’occuper de tout et se rend compte qu’aucune structure n’est adaptée pour la soulager… ce sont des exemples de stress parmi tant d’autres, auxquels doivent faire face les immigrants. »
Des points de vue différents
Outre ses facteurs extérieurs de bien-être, viennent s’ajouter les différences culturelles. Le recours à un médecin pour des troubles mentaux ou difficultés émotives n’est pas courant dans les sociétés non occidentales. « Il existe une peur liée à la maladie mentale à cause du préjugé qui y est attaché, on cache ce problème honteux dans la famille et on est réticent à en parler à l’extérieur », explique Stella Lee du programme pour la communauté chinoise de l’Association canadienne pour la santé mentale.
Tandis que les Chinois évoquent souvent des symptômes physiques tels que la fatigue pour exprimer leur mal-être et ne vont parler de leur état psychique que s’ils sont interrogés, en Ethiopie, les conversations franches entre médecin et patient peuvent être jugées déplacées et dénuées de sensibilité. Les mauvaises nouvelles médicales doivent parvenir par l’intermédiaire d’amis…
Tous ces comportements culturels différents rendent difficile le diagnostic pour un médecin occidental. « La culture et la santé au Canada sont fondées sur l’individualisme. Mais, si nous pouvons mieux comprendre ce que les gens traversent et les liens entre la culture et le bien-être, nous ferons un meilleur travail d’écoute, et nous pourrons créer des services plus adaptés et pertinents. Bien que nous avons des professionnels de santé mentale qui parlent d’autres langues en Colombie-Britannique, cela ne suffit pas, l’important c’est de comprendre d’où vient le patient, sa situation et son passé », conclut Sarah Hamid-Balma.